[Expo] Allemagne - Années 1920 - Nouvelle Objectivité - August Sander - Centre Pompidou - Paris - du 11/05 au 05/09/2022

EUROPA TANZ PAVILLON
Le Centre Pompidou consacre une exposition à August Sander et à la Nouvelle Objectivité en Allemagne à la fin des années 1920. Superbe.


Le Centre Pompidou propose une vue d’ensemble sur le courant artistique de la Neue Sachlichkeit (la Nouvelle Objectivité) ainsi que sur l'oeuvre du photographe August Sander. Outre la peinture et la photographie, l'exposition couvre l’architecture, les travaux de design, le cinéma, le théâtre, la littérature et la musique. Une mine d'or. Suivez-nous.



Franz Wilhelm Seiwert - Freudlose Gasse [Rue sans joie], 1927

L'exposition a la particularité de réunir et croiser deux volets : un volet thématique sur l’art et la culture de la Nouvelle Objectivité et un volet monographique consacré à l'oeuvre du photographe August Sander. Ceci permet d'observer un large panorama de l’art en Allemagne à la fin des années 1920. La scénographie est réalisée en conséquence. Les salles présentant les thèmes sont traversées par une galerie de portraits réalisés par August Sander.



La Nouvelle Objectivité est un terme inventé en 1925. Il désigne les nouvelles tendances artistiques apparues en Allemagne à partir de 1918. Après la Première Guerre Mondiale la société allemande est en mutation sociale, politique, technologique, médiatique aussi. La peinture se veut réaliste et objective. De son côté August Sander souhaite documenter une époque en photographiant ses contemporains. Dans sa grande oeuvre « Hommes du 20e siècle », il classe les portraits par profession ou selon des critères sociaux ou familiaux.
 
L'exposition est très riche, avec presque 900 œuvres et documents. Nous présentons ici ce que nous avons retenu et qui nous a enthousiasmé.

Revenons en 1918. Nous sommes à l’issue de la Première Guerre mondiale. L'Empire Allemand a perdu plus de 2 millions d'homme au combat et plus de 400 000 civils. Plus de 4 millions de soldats allemands sont blessés ou mutilés. Les familles sont endeuillées, la population est traumatisée, Une réaction de protection est de masquer son désarroi. Les sentiments et les tourments sont cachés derrière un masque d'indifférence. Dans les portraits les personnes n'affichent pas d’expression particulière, n'expriment pas leur intériorité. Il leur est cependant possible de montrer leur rang social ou leur profession par leur vêtement, leur lieu de travail ou un accessoire. Les artistes de la Nouvelle Objectivité peignent également les plantes de manière neutre.
 
Christian Schad - Anna Gabbioneta, 1927

 
August Sander - Mutter und Tochter
[Mère et fille (Helene Abelen avec sa fille Josepha)], vers 1926
 

Christian Schad - Comte St. Genois d'Anneaucourt, 1927


Georg Scholz- Kakteen und Semaphore [Cactées et sémaphores], 1923

Après la guerre, l'Allemagne est en proie à la crise économique et au désordre politique. Les gouvernements américain et britannique aident l'Allemagne en injectant des capitaux américains (le plan Dawes en 1924 puis le plan Young en 1928). L'Allemagne procède à des réformes. La rationalisation du travail mise au point par Taylor (le taylorisme) s'impose dans les entreprises allemandes. L'industrie devient plus performante, la croissance revient. La mécanisation des tâches est à l'oeuvre. Cette rationalisation infuse dans la vie sociale et culturelle. L'appartenance sociale et la typologie de métiers sont schématisées. Des codes visuels sont utilisés, comme la longueur de la jupe ou la forme du couvre-chef. Il s'agit de créer un langage simple qui puisse être compris par le plus grand monde. Un système visuel qui permette de visionner et diffuser des problèmes économiques et sociétaux. August Sander, lorsqu'il photographie ses contemporains, croit lui aussi au pouvoir de l'image, à sa reproduction et à sa diffusion pour toucher un grand nombre de personnes. C'est une recherche de démocratisation du savoir.

La technique fascine les artistes de la Nouvelle Objectivité. Un appareil joue un rôle important, c'est la radio. Son écoute est réservée à une minorité de bricoleurs avant de se répandre dans la société. C'est un moyen extraordinaire pour accéder à d'autres voix, d'autres idées, d'autres expressions, des informations, de la musique, un moyen pour diffuser et démocratiser la culture. Le régime nazi va bientôt utiliser tous les moyens de communication modernes au profit de la propagande de ses seules idées (voir à ce sujet l'exposition sur le pouvoir de la propagande nazie : ici)


Mundaneum Wien - Gesellschaftsgliederung [Structure de la société], vers 1931-1933
Grands propriétaires terriens, Paysans, Ouvriers agricoles
Entrepreneurs, Employés, Ouvriers



Karl Völker - Beton [Béton], vers 1924
 
Max Radler - Der Radiohörer [L'Auditeur de radio], 1930

La ville se modernise. Les classes sociales qui ont les moyens peuvent aller danser dans les boites de nuit, sous les néons des enseignes, comme celle du Europa Tanz Pavillon. La ville est aussi l'endroit d'une grande pauvreté. Dans son « Triptyque de la Grande Ville », Otto Dix peint la bourgeoisie qui danse à côté des mutilés, des exclus et des prostituées.


Martin Höhlig - Berlin im Licht - Europa Tanz Pavillon in der Stresemannstraße
[Berlin en lumière, Le Pavillon de danse Europa dans la Stresemannstraße], 1928
 
Otto Dix - Karton zum « Groẞstadt-Triptychon »
[Carton préparatoire pour « Le Triptyque de la Grande Ville »], 1927-1928
 
Gerd Arntz - Zwölf Häuser der Zeit [Douze Maisons du temps] - Bordell, 1927

Le rôle de la femme dans la société évolue dans les années 20. Avec la Première Guerre Mondiale les femmes ont progressé sur l'échelle sociale, s'insérant dans le marché du travail en prenant les postes laissés vacants par les hommes partis au front. Les femmes obtiennent le droit de vote en 1918 en Allemagne (en France il faudra attendre 1944 soit une guerre mondiale de plus). Nous voyons dans les photographies d'August Sander comment la représentation de la femme change. Dans une conception conservatrice, la femme est définie par quelqu'un d'autre, elle est la femme de, la mère de, la fille de. Les portraits évoluent vers une représentation de la femme sans ses proches. Une autre invention, la cabine automatisée photomaton, permet dès 1928 de réaliser soi-même son portrait photographique. Il est captivant de voir les sourires qui illuminent alors les photographies.
Une partie des femmes de la classe moyenne supérieure arborent des cheveux courts, des cravates. C'est un choix de rompre avec les codes de la mode féminine de l'époque, en introduisant des attributs de la mode masculine.


August Sander - Haustochter [Personnel de maison], 1926
 

August Sander - Sekretärin beim Westdeutschen Rundfunk in Köln
[Secrétaire à la Westdeutscher Rundfunk de Cologne], 1931

Kate Diehn-Bitt - Selbstporträt als Malerin [Autportrait en peintre], 1935
 

L'exposition consacre une salle aux atroces visions de femmes meurtries, violées, assassinées, pendues, égorgées, éventrées. Dans les années 20 et au début des années 30 l'Allemagne est secouée par des meurtres effroyables dont les photographies sont diffusées dans la presse. Les oeuvres exposées semblent exorciser des angoisses masculines profondes au travers de la représentation d'une violence abominable infligée aux femmes par des sadiques méthodiques.


Rudolf Schlichter - Der Künstler mit zwei erhängten Frauen
[L’Artiste avec deux femmes pendues], vers 1924
 

Heinrich Maria Davringhausen - Der Träumer [Le Rêveur], 1919

Le Berlin des années 1920 transgresse les normes de genre et d'hétérosexualité. La culture homosexuelle et lesbienne est importante, à travers les clubs, les lieux de rencontre, les restaurants, les bars. La visibilité atteint la littérature, le cinéma, la peinture, les revues et journaux. Lorsque Hitler parvient au pouvoir en 1933, les bars et clubs sont fermés, les revues interdites, les mouvements dissous (voir à ce propos la récente et excellente exposition au Mémorial de la Shoah : ici) .

Jeanne Mammen - Zwei Frauen, tanzend [Deux femmes, dansant], vers 1928


Otto Dix - Bildnis der Tänzerin Anita Berber [Portrait de la danseuse Anita Berber], 1925

Dans la dernière salle de l'exposition, les artistes montrent les perdants du taylorisme, les ouvriers exploités, devenus de simples rouages de la machine économique capitaliste, invisibles dans la masse des travailleurs qui vont et viennent. Les artistes montrent les mutilés de guerre, les familles pauvres, les laissés pour compte de la modernisation. L’Allemagne est durement touchée par la crise de 1929. Les crédits américains n'arrivent plus. Le chômage explose. La famine et la misère écrasent les pauvres gens et la classe moyenne. August Sander établit un portfolio qui s’appelle « Les personnes qui sont venues à ma porte ». Il invite les mendiants, les colporteurs, les chômeurs qui sont venus lui demander de l'argent, à se faire photographier devant son mur d’entrée.


Augustin Tschinkel - Weg zur Arbeit [En route pour le travail], 1929

Oskar Nerlinger - Straßen der Arbeit [Routes du travail], 1930

Hans Baluschek - Sommerabend [Soir d'été], 1928
 
Bettlerin [Mendiante], 1930

Nous sommes maintenant en 1932. C'est sur ces images de misère que nous quittons l'exposition.
En 1933, le mouvement artistique de la Nouvelle Objectivité disparait avec l'arrivée au pouvoir des nazis. August Sander continue à photographier ses contemporains. Le Mémorial de la Shoah a exposé en 2018 des portraits des persécutés et des persécuteurs réalisés par August Sander pendant le IIIe Reich (ici).

Cette exposition au Centre Pompidou est extraordinaire de richesse. Nous vous avons présenté dans la présente critique une infime partie des quelques 900 oeuvres et documents rassemblés. La présentation des nombreuses thématiques fait preuve d'un grand souci de clarification et de mise en perspective. La scénographie est fluide et permet de s'orienter. Vraiment une très grande exposition. Une réussite.

[Expo] Allemagne - Années 1920 - Nouvelle Objectivité - August Sander - Centre Pompidou - Paris - du 11/05 au 05/09/2022 [Expo] Allemagne - Années 1920 - Nouvelle Objectivité - August Sander - Centre Pompidou - Paris - du 11/05 au 05/09/2022 Reviewed by Concerts expos by Pat on août 07, 2022 Rating: 5

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