[Expo] State of Deception : The Power of Nazi Propaganda - Parlamentarium - Parlement européen - Bruxelles - du 20/01 au 13/05/2018

L'EMOTION ET LA HAINE

Le Parlamentarium à Bruxelles présente «State of Deception», une exposition qui analyse la propagande nazie et explique comment elle a réussi. Passionnant.


« Si Adolf Hitler atterrissait aujourd'hui
Ils lui enverraient de toute façon une limousine
»

The Clash - (White Man) in Hammersmith Palais (1977)


« - Vous n'êtes que de la merde juive !
- Oui ! De la merde !
- Vous êtes plus répugnants que des cochons !
- Oui ! Plus répugnants que des cochons !
- Vous êtes pires que des rats ! Pire que des poux !
- Oui ! Pire que des rats ! Pire que des poux !
- Un insecte a plus de droit de vivre que vous !
- Oui ! Oui !
»

Joseph Gourand, Les cendres mêlées



Les nazis étaient d'excellents propagandistes. Ils ont utilisé toutes les techniques modernes pour parvenir à leurs fins. Des images fortes, des messages simples, des slogans martelés, des fausses informations, des manipulations très élaborées, un discours de haine, des propos extrémistes, une logique d'adhésion. L'ascension des nazis semblait résistible. Ils ont pourtant réussi. Comment la propagande nazie a pu avoir un tel impact ? Comment réagissons nous aujourd'hui face à la propagande ? Savons nous la reconnaître ? Une superbe exposition éclaire notre lanterne. Suivez-nous.

Nous précisons que nous avons visité cette exposition en octobre 2018 et que nous rédigeons cette critique en avril 2021 alors que les lieux et les musées sont fermés en raison de la crise sanitaire.

L'exposition est accueillie par le Parlamentarium, c'est-à-dire le centre des visiteurs du Parlement européen à Bruxelles. Le lieu est situé dans le quartier européen, un ensemble de bâtiments aux façades impersonnelles.



L’exposition « State of Deception » a été conçue et réalisée par le United States Holocaust Memorial Museum à Washington. Cette exposition itinérante examine comment la propagande nazie a préparé la population allemande à participer à la persécution et à l’assassinat entre autres des Juifs d’Europe.

Comment est-il possible que le peuple allemand, un peuple démocratique, éduqué, cultivé, ait adhéré massivement à l’idéologie nazie ? Voyons comment la propagande nazie est parvenue à ce tour de force, comment elle a réussi à tromper tout un peuple.



Pour que les nazis accèdent au pouvoir et poursuivent leurs politiques raciales et leurs efforts de guerre expansionnistes, il leur a fallu beaucoup d'habilité pour séduire de larges pans de la population.

Première étape d'un plan marketing impeccable : définir une identité visuelle puissante. Hitler a personnellement adapté le très ancien symbole de la croix gammée en utilisant des couleurs émotionnelles. L'identité ainsi créée est si forte que l'usage de la croix gammée est devenu un interdit dans de nombreux pays européens après la guerre.

Maintenant que le drapeau est choisi, il faut désigner le chef qui le brandit. La propagande nazie va développer un culte du chef (Führer) autour d'Hitler. L'image publique d'Adolf Hitler est orchestrée avec grand soin, ses apparitions sont maîtrisées. L'homme est charismatique. Il est présenté comme un chef messianique venu apporter la stabilité politique, l'emploi et l'unité nationale. Sa fougue séduit lors des rassemblements et des défilés. Sa voix porte. Elle est diffusée grâce aux moyens modernes de communication, radio, microsillon et haut parleurs.

Le matraquage publicitaire bât son plein. Les propagandistes multiplient les peintures, les affiches, les bustes. Ils impriment des millions d’exemplaires de l’autobiographie politique de Hitler, Mein Kampf (Mon combat).

 




Hitler répétant - Heinrich Hoffmann - 1927

Le parti a dorénavant un symbole visuel fort et un chef désigné. Maintenant, il faut accéder au pouvoir. Seulement voilà, pourquoi le public voudrait voter pour le parti nazi ? Pour parvenir à obtenir les votes nécessaires les propagandistes nazis présentent le parti comme le seul mouvement apte à apporter l'ordre, à remettre au travail les six millions de chômeurs du pays et à parler au nom de tous les Allemands. Presque tous les Allemands.

 


Votez pour Adolf Hitler!

La clé de l'idéologie, celle qui va susciter l'adhésion, c'est la création de la « communauté nationale  » (Volksgemeinschaft). Cette communauté transcende la classe sociale, la religion et la région. Les grands mots sont employés, la propagande invoque le bien commun, l'unité, la fierté nationale, la grandeur de l'Allemagne. C'est l'union sacrée des Allemands «aryens». Le soutien populaire devient massif. Les élections sont gagnées en 1933. Le parti nazi est au pouvoir.
Une fois le pouvoir conquis, l'allégeance au chef devient un acte de foi. Chacun doit saluer l'autre en disant  « Heil Hitler ».
 



Le parti va dorénavant préparer le terrain pour l'avenir. Bientôt il appelera le public à se sacrifier pour son idéologie. Seul hic, la population allemande, qui a perdu 2 millions de personnes lors de la Première Guerre Mondiale, n'est pas prête à guerroyer. Le parti nazi, maintenant au pouvoir, va devoir vendre la guerre aux Allemands. Il s'agit de justifier l'utilisation de la force militaire comme étant nécessaire. Un argument simple c'est la légitime défense. C'est de la survie, c'est eux ou nous. Au nom de la légitime défense il sera possible de justifier auprès du public la conquête de territoires toujours plus vastes, le vol des richesses et les tueries de masse.

Tout d'abord, il faut un ennemi. C'est un facteur clé pour assurer la cohésion du groupe : il faut définir qui est exclu de l'adhésion. De nombreux Allemands ne sont pas les bienvenus dans la nouvelle communauté nationale. La propagande va travailler à fond pour définir qui est exclu de la communauté nationale et faire accepter par la population des mesures répressives de plus en plus brutales à l'encontre de ces exclus. La cible principale de la propagande nazie ce sont les Juifs. Les stéréotypes, repris et amplifiés au niveau de l'État, alimentent un discours de haine. Sont également visés les Roms, les homosexuels, les Témoins de Jéhovah, les personnes ayant une maladie mentale ou une handicap intellectuel ou physique. Et bientôt tout opposant à l'idéologie nazie. 
 

 
La propagande dans la presse insiste sur la lutte contre la pollution raciale. Le parti nazi parvient à répandre dans la population le sentiment que les juifs sont une autre race. Une race qu'il faut écarter pour garantir l'ordre. En 1935 c'est l'adoption des principaux statuts anti-juifs. La propagande a préparé la population allemande à des mesures plus brutales. Bientôt ce seront les déportations massives et l'extermination. Pour celà il faut atteindre un tout autre niveau d'acceptation, d'indifférence, voire de participation active du peuple.

Affiches annonçant le film Der ewige Jude ("Le Juif éternel"), ca. 1940

Pour façonner l'avenir, les nazis ont immédiatement compris qu'ils devaient endoctriner les jeunes. Il s'agit de vendre un parti dynamique, tourné vers l'avenir. Fondée en 1926, les Jeunesses hitlériennes (Hitlerjugend) forment des garçons à entrer dans la SA (la Section d'Assaut), l'organisation paramilitaire du parti nazi. Après l'accession au pouvoir en 1933, les Jeunesses hitlériennes façonnent les croyances, modèlent la pensée, lissent toute conscience de classe, tout statut social. Le but est d'intégrer les garçons dans la communauté nationale nazie et les préparer à être soldats. En 1936, l'adhésion devient obligatoire pour tous les garçons et filles âgés de 10 à 17 ans. Les filles intégrent la Ligue des jeunes filles allemandes (Bund Deutscher Mädel). Elles sont instruites aux aspects de l'économie domestique. Toutes ces réunions après l'école, ces sorties en campement le week-end, ces rassemblements, vont endoctriner une jeunesse entière à être fidèle aux dirigeants de l'État national-socialiste. À l'âge de 18 ans, les garçons doivent s'enrôler dans l'armée ou le service du travail du Reich.

Jeu de société "Les Juifs dehors !"
 

Figurines représentant Adolf Hitler et des membres des sections d'assaut 
 
 
 

Scène d'un rassemblement de jeunes - 1933

Que devient l'éducation nationale ? C'est simple, l'éducation sous le Troisième Reich sert à endoctriner les élèves. Le peuple allemand est de race «aryenne», les autres peuples sont inférieurs, le Juif est un parasite. Après 1933 la plupart des éducateurs sont restés à leur poste et ont rejoint la Ligue nationale-socialiste des enseignants.
 
 

Une page de l'un des livres pour enfants publiés par Der Stürmer-Verlag de Julius Streicher.
Le texte dit: « Le nez juif est tordu à son extrémité. Il ressemble au numéro 6. »

Pour parvenir à ses fins, le parti nazi doit écrire les actualités. Lorsque Hitler accède au pouvoir en 1933, il est face à 4 700 journaux allemands. Les nazis contrôlent moins de 3% de la presse. L'Etat s'empare des imprimeries des partis politiques dissouts. Il remet les équipements au parti nazi. Au cours des premières semaines de la prise de pouvoir, le régime nazi utilise à son profit tous les moyens de communication modernes. La propagande de la presse est relayée par haut-parleurs, par la radio, par la télévision, par les actualités filmées. Le régime attise la crainte d'un soulèvement communiste. Quelques troubles brillamment orchestrés et le tour est joué. Des mesures politiques sont prises. Elles limitent les libertés civiles. En quelques mois les organes de presse indépendants sont mis sous contrôle. La démocratie est tombée. L'Etat totalitaire nazi est en place.
 
Le Camp de Dachau en couverture d'un numéro de 1936 de l'Illustrierter Beobachter

Après l'invasion de la Pologne le 1er septembre 1939, le régime nazi veut éviter à tout prix que les citoyens allemands reçoivent des informations extérieures. Il interdit d'écouter des émissions étrangères sous peine d'infraction pénale. Toute personne qui diffuse une information en provenance d'une radio étrangère peut être condamnée à la prison ou à la peine de mort.

« Toute l'Allemagne écoute le Führer avec la radio populaire » - 1936

La Seconde Guerre Mondiale est déclenchée. La propagande nazie a réussi à obtenir le soutien, l'acquiescement d'une large partie de la population. Il s'agit dorénavant d'obtenir sa participation, jusqu'au sacrifice. La propagande nazie poursuit son entreprise de tromperie. L'agression militaire allemande est présentée comme nécessaire. L'Allemagne est présentée comme la victime. Le régime met en place une puissante propagande d'imposture et de leurre en Allemagne, dans les pays occupées par l'Allemagne et dans tous les pays.

Victoire ou bolchévisme

Les victimes des persécutions sont elles mêmes dupées. La supercherie va jusqu'à autoriser la visite de la Croix-Rouge dans le camp de concentration de Theresienstadt, transformé le temps d'une visite en camp modèle, le tout pour calmer les rumeurs à propos des camps d'extermination.

 

 
Le Grand Reich Allemand finit par s'écrouler en 1945. Hitler, Himmler, Goebbels se suicident.
Le culte nazi a été si intense que les Alliés effacent ses traces. Les rues sont renommées, les monuments, les statues, les bustes nazis sont détruits. Les signes, les symboles, les emblèmes liés au nazisme sont enlevés. La propagande nazie est supprimée des manuels scolaires, des médias allemands, des institutions religieuses. Les défilés nazis ou militaires sont interdits. Les hymnes nazis ne peuvent résonner.

Avant la défaite nazie, les Alliés avaient averti l'Allemagne de leur intention de punir les responsables d'actes criminels, devant l'ampleur de l'agression et des meurtres de masse. La punition vise également à discréditer la mortifère idéologie nazie. Le Tribunal militaire international ouvre à Nuremberg le 20 novembre 1945. Il est rendu public. La presse allemande, les stations de radio, les actualités filmées diffusent le reportage du procès. La tâche est ardue. En douze années au pouvoir, les dirigeant nazis sont parvenus à marquer profondément la société allemande. Il s'agit d'expliquer, de trouver de nouveaux mots pour remplacer les mots utilisés par les nazis. Dans son oeuvre de tromperie généralisée, la propagande nazie a tout bouleversé, les expressions, les idiomes, les formules, les slogans, les mots.
 

Salle d'audience du Tribunal militaire international. Nuremberg, 11 septembre 1945.

S'attaquer aux dirigeants nazis et aux chefs militaires est une chose. Mais le défi est tout autre quand l'accusation est confrontée aux propagandistes. Attiser la haine raciale entraîne-t-il la mise en œuvre d'une politique d'agression ou de meurtre de masse ? Le tribunal tranche positivement dans le cas de l'éditeur antisémite Julius Streicher, qui est condamné à mort pour crime contre l'humanité pour ses articles dans le journal Der Stürmer, de 1923 à 1945. Les mots et les images ont-ils un lien direct avec les actions ? Le tribunal répond négativement dans le cas de la réalisatrice Leni Riefenstahl (Le Triomphe de la volonté en 1935).

 
  
Pour la première fois dans l'histoire, un tribunal a jugé des propagandistes pour crimes contre l'humanité. Ce précédent est invoqué par les instances et tribunaux internationaux jusqu'à nos jours.

En conclusion cette exposition est très intéressante. Elle présente la puissance de la propagande nazie, son art de la tromperie. Bénéficiant d'une impressionante iconographie et d'explications très claires, elle nous informe utilement. Les thèmes abordés résonnent dans l'actualité. Nous sommes invités à rester vigilant face aux propagandes actuelles, aux fausses informations, à la promotion de l'extrémisme violent, aux discours haineux et aux actions visant à réduire la confiance du public dans les processus démocratiques.


[Expo] State of Deception : The Power of Nazi Propaganda - Parlamentarium - Parlement européen - Bruxelles - du 20/01 au 13/05/2018 [Expo] State of Deception : The Power of Nazi Propaganda - Parlamentarium - Parlement européen - Bruxelles - du 20/01 au 13/05/2018 Reviewed by Concerts expos by Pat on avril 27, 2021 Rating: 5

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