[Expo] Boris Mikhaïlov - Journal ukrainien - Maison Européenne de la photographie - Paris - du 07/09/2022 au 15/01/2023

LES EPREUVES DE LA VIE
La MEP expose l'artiste ukrainien Boris Mikhaïlov. De l'art de photographier des choses soi-disant condamnables de façon soi-disant mauvaise.

La Maison Européenne de la Photographie (MEP) à Paris présente une grande exposition rétrospective de l'œuvre de l'ukrainien Boris Mikhaïlov. Conçue en étroite collaboration avec l'artiste, l'exposition présente une vingtaine de ses séries. Nous y allons. Suivez-nous.
 

 
Nous découvrons le parcours du photographe. Les explications aux murs nous aident à replacer les oeuvres dans leur contexte économique, social et politique. Boris Mikhaïlov est né en 1938 à Kharkiv en URSS, l'Union des républiques socialistes soviétiques. Il est ingénieur de formation et photographe autodidacte. Il commence la pratique de la photographie en 1965 et présente sa première exposition à la fin des années 1960.
Nous parcourons les salles et nous apprécions particulièrement l'excellente mis en lumière des lieux, ce qui est indispensable pour apprécier les tirages exposés.

Boris Mikhaïlov documente les manifestations soviétiques officielles dans lesquelles la couleur rouge fait partie de la propagande. Mikhaïlov peint les photographies, les saturant de rouge. La réalité soviétique apparaît comme une fête dans laquelle chacun joue un rôle imposé.
 
De la série « Red », 1968-75

Dans la série « Yesterday's Sandwich », Mikhaïlov cherche l'accident visuel en superposant des diapositives aux sujets variés. L'abondance de corps dénudés interdit alors toute exposition au public de cette production prolifique. La MEP projette ces images sur un pan de mur, au son du Dark Side Of The Moon du groupe Pink Floyd.
 
De la série « Yesterday's Sandwich », 1966-68

L’usine qui emploie Boris Mikhaïlov lui confie un appareil photo pour réaliser un reportage sur l’entreprise. Mikhaïlov en profite pour faire des tirages de nus de sa femme Vita, dans la chambre noire sur son lieu de travail. L’esthétique officielle de l’URSS interdit la photographie de nus. Boris Mikhaïlov est renvoyé et interdit d'exercer son métier d'ingénieur. Il pratique dès lors la photographie à plein temps. Son appartement est surveillé par la police politique du KGB, le service de renseignements de l'URSS post-stalinienne. Boris Mikhaïlov expérimente la façon de subvertir les codes visuels officiels de l'ère soviétique. Il photographie le quotidien de manière crue, à l'opposé des représentations exemplaires et héroïques imposées par le régime. Pour éviter l'attestation et l'emprisonnement, il montre son travail en catimini dans des appartements privés. Sa femme Vita apparait régulièrement. Elle est la collaboratrice créative du photographe.

Mikhaïlov réalise des prises de vue en cachette dans les rues. Il capte la grisaille, un ordre social éloigné des joyeuses parades officielles. Il veille à produire des images pauvres, floues, avec des tirages grossiers sur des papiers premier prix, selon une volonté de refléter les épreuves de la vie. Nous y voyons aussi une manière de contourner la censure en cas de perquisition du KGB, afin de leur présenter ces clichés subversifs comme étant de simples photographies jetables et vulgaires. 
 
De la série « Black Archive », 1968-79

Sur commande, Mikhaïlov recouvre des portraits noir et blanc de couleurs criardes. Pour ne pas finir en prison, le défi est de créer une image qui ne soit pas antisoviétique au premier regard.
 

De la série « Luriki » (Colored Soviet Portrait), 1971-85

Nécessité fait loi, une pénurie de papier amène Mikhaïlov à reproduire sur une même feuille quatre images prises dans un même lieu. Une nouvelle expérimentation pour l'artiste.

De la série « Series of Four », 1980s

Peu avant la chute de l'Union soviétique, Mikhaïlov parcourt les rues de Kharkiv et porte son regard vers les démunis, vers la misère. Il pose la question : Pourquoi avez-vous le droit de photographier d'autres personnes ?


De la série « By the ground », 1991

Avec la dislocation de l'URSS, l'Ukraine devient indépendante en 1991. Mikhailov sent l'importance du changement. C'est la fin des fondements de la vie soviétique. Quel sera le nouveau modèle pour l'Ukraine ? Mikhaïlov se représente en anti-héros au corps vieillissant, brandissant une poche de lavement. 
 

De la série « I am not I », 1992

En 1993 Mikhaïlov parcourt sa ville de Kharkiv. Après des années de régime communiste, le pays nouvellement indépendant fait face à de dures réalités. Les sites industriels sont désaffectés. Les détritus emplissent le paysage urbain dans une ambiance de dévastation. Les habitants font la queue pour se nourrir. Le rouge soviétique a disparu du décor. Mikhaïlov choisit la couleur gris-bleu brumeuse du crépuscule. La nouvelle réalité sociale désoriente. Mikhaïlov crée des photographies panoramiques qui soulignent l'indécision d'un pays face à sa soudaine indépendance. Quelle direction prendre ? Combien de temps va prendre le chemin ?


De la série « At Dusk », 1993

L'ordre social soviétique déclinait dans la série « On the Ground » en 1991 avant d'être dévasté dans la série « At Dusk » en 1993. Dans la série « Case History » en 1997-98, la nouvelle société engendre les nouvelles classes caractéristiques du capitalisme, les riches et les pauvres. Mikhaïlov choisit de documenter une misère qui, selon lui, « à l’époque pouvait toucher n’importe qui ». Mikhaïlov va au très proche contact des personnes qui se sont retrouvées sans abri à la suite de l'effondrement de l'Union soviétique. Les regards échangés sont profondément humains. La pauvreté dévaste des personnes opprimées, privées de leurs droits. L'effroi provoqué par ces clichés est amplifié par le choix de les présenter sous forme d'agrandissement en couleur et grandeur nature.

De la série « Case History », 1997-98

Les années de transition des années 1990 sont passées. Voici le temps du business, des petites entreprises, des marchés, des marchés aux puces, dans un paysage urbain encore bien peu prospère, le tout décoré de panneaux publicitaires. Une énergie positive se dégage de ces clichés.

De la série « Tea, Coffee, Cappuccino», 2000-2010

En décembre 2013 Mikhaïlov et sa femme Vita documentent les manifestations pro-européennes de la place Maidan à Kiev. L'inquiétude est palpable. Quelques semaines plus tard, en février 2014, les affrontements sur la place font plus de 80 morts. Ce mouvement débouche sur la révolution de février et la fuite puis la destitution du président pro-russe.

 De la série « The Theater of War, Second Act, Time Out», 2013

Nous sommes sortis de l'exposition un peu secoués. La somme de photographies est impressionnante et leurs sujets sont souvent durs. Heureusement les explications sont très claires et permettent d'appréhender l'oeuvre.

Kharkiv, la ville natale de Boris Mikhaïlov, a été en partie détruite par l’artillerie lors de l’attaque de la Russie en février 2022. Le photographe et sa femme Vita dédient l'exposition « à tous ceux qui souffrent de cette attaque vicieuse et incompréhensible contre notre patrie, avec une très grande tristesse et une compassion infinie ».
 

 
[Expo] Boris Mikhaïlov - Journal ukrainien - Maison Européenne de la photographie - Paris - du 07/09/2022 au 15/01/2023 [Expo] Boris Mikhaïlov - Journal ukrainien - Maison Européenne de la photographie - Paris - du 07/09/2022 au 15/01/2023 Reviewed by Concerts expos by Pat on janvier 02, 2023 Rating: 5

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