Araki - Musée Guimet - Paris - du 13/04 au 05/09/2016 - Compte-rendu de visite

A TOMBEAU OUVERT
Le Musée Guimet présente la carrière d’Araki dans un superbe écrin.

« J'aime tes yeux d'ombre
Et de clarté, beaux
Comme des tombeaux »
Pour E… - Paul Verlaine
 


L’exposition Araki au Musée Guimet retrace cinquante années de carrière du photographe au travers de quatre cent photographies.
Nobuyoshi Araki est une figure incontournable de la photographie contemporaine japonaise. Je me souviens avoir découvert Araki avec sa série « Lucky hole », une immense collection de prises de vue réalisées au début des années quatre-vingt dans les bars très chauds du quartier de Shinjuku à Tokyo. Je n’avais pas été marqué par ce travail, juste intrigué. Plus récemment j’ai découvert les photographies en couleur de l’artiste. Entre femmes ligotées et fleurs fanées, Araki a su captivé mon attention. La présente exposition est l’occasion de faire le point sur l’œuvre du photographe.


Le Musée Guimet a dû faire un immense travail de choix. Nobuyoshi Araki a tout du photographe compulsif. « Prendre des photographies est aussi naturel pour moi que respirer. La photo c’est la vie » a-t-il déclaré. A 75 ans, l’homme a réalisé plus d’un million de clichés. Une somme immense, imprésentable. Pour retracer une telle carrière il faut trier et décider. Par exemple le choix est fait de ne pas présenter les clichés les plus sulfureux. Exit donc la série « Lucky Hole » et ses hôtesses de bars de passe. Un avertissement prévient cependant les familles du caractère dérangeant de certains clichés exposés. Un autre choix décisif est de couvrir toute la durée de la carrière d’Araki, de 1965 à 2015. Nous sommes face au résumé d’une carrière qui s’achève par une représentation par l’artiste de son propre tombeau.
Les photographies étant interdites à l’intérieur de l’exposition, je me plie à cette règle en vous narrant ce que j’ai vu sans avoir dégainé l’appareil Sony de ma poche. La première salle présente de manière presque exhaustive les livres publiés par Araki au cours de sa carrière. En marchant le long de ces plus de quatre cent ouvrages, on prend pleinement conscience de la production phénoménale d’Araki. L’œuvre est du domaine de l’inclassable. Je réalise d’ailleurs que les deux ouvrages que je possède d’Araki présentent les photographies sans titre ni date (Araki fait parfois apparaître la date directement sur les clichés).


La première salle est consacrée aux photos de fleurs, un des motifs récurrents de l’oeuvre. Il s’agit de pétales et de pistils en gros plan, présentés sur des tirages immenses. La charge érotique des formes est volontaire et impacte l’œil. Il faut souligner que Nobuyoshi Araki a toujours utilisé l’argentique sans jamais céder aux sirènes du numérique. C’est assez étonnant compte-tenu de sa boulimie d’images. En tout cas le résultat est là. Entre argentique, choix du support et tirage, les couleurs sont stupéfiantes.


La salle suivante présente une série intitulée « Théâtre de l’amour », datant des débuts en 1965. C’est un prélude à l’une des caractéristiques de l’œuvre, la photographie utilisée comme un récit autobiographique. On voit ensuite « Voyage sentimental », illustration en 1971 du voyage de noce avec son épouse Yōko, puis « Voyage en hiver » en 1990, année du décès de celle-ci.


Autre facette majeure de l’oeuvre, les portraits de femmes ligotées. Le corps est là, en suspension, immobilisé par les cordes. Les couleurs des étoffes resplendissent. Le visage est impassible et le regard nous interpelle très directement : que ressentons-nous ? Quelle est notre position face à cette mise en scène ?
Pour guider notre œil, le musée Guimet a eu la bonne idée de fouiller dans ses archives et a exhumé des estampes, des photographies et des livres anciens qui font le lien avec l’œuvre d’Araki. Prisonnier ligoté, fleurs colorisés, femmes en kimono, les thèmes sont présents depuis le XIXe siècle et ancre l’œuvre d’Araki dans une esthétique japonaise permanente.



Nous visitons ensuite un aperçu de l’atelier d’Araki. De quoi prendre une partie de la mesure de la production de l’artiste. Les supports sont variés, polaroïds et ektachromes complétant les argentiques.
De l’œuvre d’Araki j’apprécie beaucoup moins les innombrables photographies en noir et blanc. Araki mitraille à tout va son quotidien. Ses cadrages n’ont alors rien de particulier. Cela aboutit à un travail que je trouve fade. L’œil n’a rien à voir. Cet aspect de son œuvre me paraît le moins artistique.

Plus récemment, l’artiste retravaille sur ses tirages, y ajoutant des calligraphies ou des aplats de peinture. A ce sujet je souligne la beauté des explications écrites en japonais tout en long de l’exposition. La scénographie toute entière est remarquable. Le soin apporté aux ambiances variées, le rythme du parcours, la théâtralisation de l’espace (le volume pourtant réduit des couloirs et des salles est parfaitement utilisé).

L’exposition se conclut sur une création réalisée par l’artiste pour cette exposition, une sélection de photographies intitulée « Tokyo-Tombeau ». Comme un résumé d’un parcours marqué par l’obsession de la mort et du sexe. La mort comme composante omniprésente dans toute vie, notamment pour un homme qui a grandi dans un Japon soumis aux bombardements. Entre février et mai 1945, le jeune Araki assiste aux bombardements de Tokyo par les B-29 américains. Les maisons sont en bois. La ville est ravagée par les incendies. Les habitations n’ont pas de cave. Nul abri. L’opération militaire fait plus de 100 000 victimes. Araki est marqué à tout jamais. “Quand les bombes incendiaires des B-29 américains ont teinté le ciel japonais de rouge, j’ai trouvé cela très beau. J’avais alors 5 ans. De mon enfance, j’ai développé tout mon travail photographique ”. Le rouge devient alors la couleur préférée d’Araki. Un autre thème récurrent hante les œuvres d’Araki, celui du dinosaure, plus exactement Godzilla, figure emblématique de la culture populaire d’un Japon d'après-guerre traumatisé par deux bombes atomiques. Je m’attendais à voir un plus grand nombre des photographies dans lesquelles Araki fait figurer un petit jouet de dinosaure. L’exposition a dû faire des choix et ce traumatisme est peu représenté.

Je décide de faire demi-tour, revenant regarder les photographies en couleur, celles que je préfère. Je quitte l’exposition par sa sortie en admirant le portrait de la femme à la pastèque. Une pastèque d’un rouge éclatant.
Une superbe exposition, très élégamment mise en scène.




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