Hommage à Richard Corben (1940 - 2020)
LE COEUR QUI BAT
Cet article est mon hommage à Richard Corben (1940 - 2020), auteur de bande dessinée.
Cet article est mon hommage à Richard Corben (1940 - 2020), auteur de bande dessinée.
« Misérables ! — m’écriai-je, — ne dissimulez pas plus longtemps ! J’avoue la chose ! — arrachez ces planches ! c’est là ! c’est là ! — c’est le battement de son affreux cœur ! »
Edgar Allan Poe - Le Cœur révélateur
Edgar Allan Poe - Le Cœur révélateur
Nouvelles Histoires extraordinaires - 1843
Richard Corben dessinait toujours des bandes dessinées à quatre-vingt ans. Il est mort en décembre. Je vais essayer de rendre hommage ci-après à l'artiste, à son œuvre et à son influence. Suivez moi.
Flash back. Début des années quatre-vingt. J'ai quatorze ans. Avec mon argent de poche j'achète une bande dessinée par mois. Druillet, Moebius, Bilal, Corben. Richard Corben est arrivé sous mes yeux grâce au magazine Métal hurlant. Leur maison d'édition, les Humanoïdes Associés, publie ses bandes dessinées. J'achète « Rolf », « Den », « Les Mille et une Nuits » et « Ogre ».
Rolf est une histoire dessinée en noir et blanc en 1970 et 1971. Elle a été publiée en France par Actuel en 1972 puis par les Humanos en 1975. C'est sa réédition aux Humanos que j'achète en 1980, dans une version colorisée par Corben. L'histoire ? Une armée de démons, aux armes et uniformes très influencés par les nazis, envahit un royaume de type médiéval. La fille du roi est enlevée. Un magicien transforme son chien en chien-humain pour aider à la libérer. Nous trouvons les marques chères à Corben, des visages aux expressions extravagantes et des corps. Encore des corps. Des corps féminins aux formes pulpeuses, des corps masculins aux muscles saillants.
Corben met cinq années à dessiner « Den », de 1973 à 1978. La bande dessinée impressionne par ses splendides couleurs et par l'aspect burlesque des corps. Les muscles sont hypertrophiés, les seins disproportionnés. Son plaisir à dessiner des corps, Corben va le déployer dans « Den ». Les nombreux combats mettent en avant la plastique des personnages. L'univers déployé fait référence à la littérature fantasy d'avant la seconde guerre mondiale. Nous retrouvons des emprunts à H.P. Lovecraft (Cthulhu), à Edgar Rice Burroughs (John Carter) et Robert E. Howard (Conan). Sauf que ces romans populaires étaient dénués d'érotisme. Ici Corben ouvre les vannes en grand. Le héros se balade la bite à l'air du début à la fin, les femmes ont le pubis bien apparent, en toute décontraction. Le couple principal se montre son amour lors de pauses sensuelles. Il s'agit de rendre hommage aux classiques de la fantasy tout en secouant la morale. Rappelez-vous du traitement littéraire que Philip José Farmer avait appliqué au personnage de Tarzan dans son roman « La Jungle nue », en 1969. Il introduisant lui aussi une sexualité débridée et une violence choquante dans les aventures du seigneur de la jungle. Ce n'est pas un hasard si Corben a illustré l'édition américaine de ce roman exubérant.
« Les Mille et une nuits » est un album beaucoup moins paillard. Richard Corben et son ami Jan Strnad au scénario donnent leur version du classique de la culture populaire. Le graphisme est superbe avec des couleurs magnifiques. L'accent est mis sur les costumes et les décors avec une bonne dose d'horreur avec l'apparition de morts-vivants.
L'album « Ogre » est un recueil d'histoires courtes. A la fin des années soixante Corben collabore à divers fanzines underground dont sa propre série auto publiée, « Fantagor ». De 1970 à 1978 il dessine quarante histoires pour les magazines Creepy et Eerie de l'éditeur James Warren. Ce sont beaucoup de contes horrifiques, hommage de Corben aux illustrés d'horreur des années cinquante. Les histoires s'imprègnent également de science-fiction au goût amer. La fantasy fait son entrée. Toute une galerie de personnages émerge. Des êtres honnêtes, des violeurs, des naïfs, des salauds, des voyeurs, des paumés, des voleurs, des amoureux, de scélérats, projetés dans des lieux peuplés de princesses, de dragons, de morts-vivants, de sorciers et de sorcières, de créatures anthropomorphes, dans des ruines post apocalyptiques, dans des vaisseaux perdus dans l'espace atterrissant sur le sol étrange d'une autre planète. Le tout servi avec la vaste palette de Richard Corben, en noir et blanc, en nuances de gris, en couleurs irisées. Corben s'en donne à coeur joie. Les corps sont violets, les dragons sont roses, les cieux sont d'un superbe orange, d'un beau vert, d'un jaune fluo.
J'ai trouvé les ouvrages cités précédemment dans ma province natale, au Mans. C'était chez le bouquiniste Jean-Marie Gibon, qui venait d'ouvrir sa boutique L'Athanor en 1978. Jean-Marie Gibon tient toujours sa boutique aujourd'hui. Mon autre pourvoyeur c'était la librairie La Taupe, qui a elle fermé en 2000.
Chez un bouquiniste à Laval, je déniche les ouvrages « Nuits blêmes » (1979) et « Profondeurs » (1980), tous deux aux Editions du Triton. Une nouvelle cargaison d'histoires courtes de l'époque Warren. Fershid Bharucha est à la manoeuvre pour éditer ces oeuvres en France. Ce sont ces histoires de sept ou huit pages, dynamiques et percutantes, qui m'ont le plus fait aimer l'oeuvre de Richard Corben. Les angles de vues sont originaux, les couleurs étonnantes, les personnages attachants. Corben a un style unique, les décors et les personnages sont tour à tour réalistes ou grotesques. Un visage est dessiné d'après modèle dans une case et esquissé la case d'après. Plusieurs techniques sont parfois utilisées dans une même histoire (encre, aérographe, photocopie). Cela peut être parfois déroutant pour l'oeil mais Corben vise l'efficacité. Si l'impact d'un coup est amélioré en trichant sur l'anatomie ce n'est pas un souci. Le corps reprendra ses proportions la case d'après.
Corben s'entoure de scénaristes épatants, nourris comme lui de fantastique et d'horreur. Bruce Jones imagine la femme géante de « Tu es une grande fille maintenant » et le couple perdu en pleine mer, accroché à une bouée, de « Tréfonds ». Beaucoup de tension et d'émotions dans ces quelques pages magistrales. Jan Strnad, autre fidèle, nous régale avec l'animal de compagnie vorace de « Médor ».
Metal hurlant publie sur 1980-1981 un autre long récit de Corben. Il s'agit de son adaptation de « Bloodstar », d'après une nouvelle de R. E. Howard. Dessiné à l'origine dans un noir et blanc superbe, l'album est colorisé par Corben pour son édition française. Bloodstar mérite toute votre attention tant il conjugue beauté visuelle et art de la narration.
Les éditions Icare (Fershid Bharucha chez Futuropolis) livrent en 1981 une nouvelle série d'histoires courtes, « Carnaval de monstres », qui permet de voir l'évolution du dessin de Corben entre 1971 et 1976. La figure du loup-garou revient à plusieurs reprises. Corben poursuit ses recherches sur les ombres et les lumières, parfaitement utilisées.
Les éditions Neptune livrent en 1981 une somme avec l'ouvrage « Richard Corben : vols fantastiques » de Fershid Bharucha. La librairie La Taupe, où je dépile les fanzines pendant des heures, me remet un carton d'invitation pour le vernissage de l'exposition des originaux de l'ouvrage à Paris. J'ai quinze ans, je suis au Mans, je ne vais pas à ce vernissage. J'achète cependant l'ouvrage. C'est une merveille. Le texte est très instructif et permet de mettre en perspective l'oeuvre de Corben. Nous en apprenons plus sur ses techniques. Le matériel proposé est conséquent. Des planches inédites, de couvertures refusées, des dessins d'enfance. Une partie centrale présente des histoires courtes. Le tout accompagné d'un magnifique portfolio.
En 1982, les éditions Neptune publient une autre série d'histoires, « Une femme bafouée ». Le recueil nous propose une perle écrite par Bill DuBay, « Bénissez-moi, Mon Père ». Le découpage est un régal de mise en scène. Une colonne de chaque page présente le parcours du tueur (déguisé en Père Noël) et répond à une colonne avec un policier. Les bulles dans les cases correspondent à un dialogue entre la femme du policier et son enfant. Une merveille qui plus est dessinée divinement, qui préfigure les futures prouesses du « Watchmen » de Alan Moore et Dave Gibbons.
Fershid Bharucha est fidèle au poste. Le magazine L'écho des Savanes Spécial USA publie Corben et met ses illustrations en couverture des hors-séries. Le magazine devient Spécial USA en 1983 puis USA Magazine en 1986. J'achète quand je vois du Corben dedans. Les éditions Comics USA naîtront en 1987. Corben est omniprésent en France en ce début des années quatre-vingt. Vous ne pouvez pas y échapper. Il illustre même des pochettes de disque (le « Bat Out of Hell » de Meat Loaf). Le magazine Ère comprimée le publie, chez Campus éditions, avant de sortir en album en 1983 l'histoire complète « Monde Mutant ». Un personnage naïf et costaud, comme les adore Corben, tente de survivre dans un monde post apocalyptique.
Au milieu des années quatre-vingt, les histoires de Corben se retrouvent entre éditeurs, magazines et anthologies. Corben colorie ses histoires en fonction des éditions et nous trouvons ainsi des versions noir et blanc ou en couleur d'une même histoire. Je commence à avoir des doublons. Je boude ainsi l'achat des anthologies Belles à croquer (1985) chez Albin Michel et Créatures de crève (1989) chez Comics USA mais aussi Jeremy Brood (1984), Pilgor (1986), la saga de Den et plus tard La Quête de Den.
De nouveaux auteurs sont apparus, comme Frank Miller et Dave Gibbons, qui attirent mon attention et mes ressources financières. J'achète les oeuvres de Corben de manière plus sélective. La « Chute de la maison Usher », paru chez Albin Michel en 1986, illustre les nouvelles d'Edgar Allan Poe. Le style de Corben sied au romantisme macabre et au sens du grotesque du poète et romancier.
Dans « Vic & Blood », paru chez Comics USA en 1989, Corben adapte une nouvelle de l'écrivain Harlan Ellison, dont l'action se situe dans un monde post apocalyptique. La nouvelle d'Harlan Ellison publiée en 1969 avait été adaptée en film en 1975 (« Apocalypse 2024 »). Pour ce récit Corben adopte une imagerie plus classique que dans « Monde Mutant », préférant cette fois se concentrer sur les vêtements et les décors.
L'album « Temps déchiré », chez Comics USA en 1991, sur un scénario de Bruce Jones, me plaît bien. Un récit en noir et blanc, à nouveau sans exagération des corps et des expressions.
Dans « Vic & Blood », paru chez Comics USA en 1989, Corben adapte une nouvelle de l'écrivain Harlan Ellison, dont l'action se situe dans un monde post apocalyptique. La nouvelle d'Harlan Ellison publiée en 1969 avait été adaptée en film en 1975 (« Apocalypse 2024 »). Pour ce récit Corben adopte une imagerie plus classique que dans « Monde Mutant », préférant cette fois se concentrer sur les vêtements et les décors.
L'album « Temps déchiré », chez Comics USA en 1991, sur un scénario de Bruce Jones, me plaît bien. Un récit en noir et blanc, à nouveau sans exagération des corps et des expressions.
Chez Marvel, DC et Dark Horse comics, Corben s'essaie à des titres plus grand public. Hulk, Punisher, Ghost rider, Hellblazer, Batman. Son « Aliens Alchemy » me déçoit. A mon sens la créature Alien ne fonctionne pas dans l'imaginaire visuel de Corben. En revanche sa participation au Hellboy est épatante, Mike Mignola lui réservant des scénarios parfaitement adaptés à son style.
L'adaptation du roman « La maison au bord du monde » est une prise de risque. Ce roman de William Hope Hodgson paru en 1908 s'apparente à un angoissant rêve éveillé. Il fallait tout le talent de Corben pour relever le défi de l'illustrer.
A ce stade de sa carrière Corben modernise l'oeuvre d'Edgar Allan Poe dans l'« Antre de l'horreur » en 2006. Il introduit du gangsta rap dans l'univers macabre de Poe. Il illustre « Le Cœur révélateur » et actualise ses propres adaptations du poète (« La Chute de la maison Usher » ou « Le Corbeau »).
L'éditeur Laurent Lerner entreprend en 2013 de ressortir aux éditions Délirium les histoires courtes de l'époque Warren dans deux tomes d'une anthologie « Eerie et Creepy présentent Richard Corben » ainsi qu'une intégrale de « Monde Mutant » en 2019. L'éditeur publie également l'oeuvre récente, avec « Ragemoor » (2014), « Esprits des Morts » (2015), « Ratgod» (2016), « Grave » (2018) et « Murky World » (2020), qui sera l'ultime oeuvre de Corben.
En 2018, Corben reçoit le Grand Prix du Festival international de la BD d'Angoulême.
Voilà, c'était mon hommage à Richard Corben. Cet artiste m'a beaucoup marqué au début des années quatre-vingt. Si je suivais toujours son oeuvre jusqu'à sa mort, c'est en grande partie grâce aux éditions Délirium qui ont soutenu ses travaux actuels. J'espère que cette évocation vous a plu. Je vous laisse avec quelques dessins de l'oeuvre puissante, sensuelle, violente et vivante de Corben. Une galerie de personnages avec un coeur qui bat.
Hommage à Richard Corben (1940 - 2020)
Reviewed by Concerts expos by Pat
on
janvier 23, 2021
Rating:
2 commentaires
Bravo pour ce beau post très personnel, comme je les aime.
Entre amateurs passionnés depuis longtemps, on se comprend.
J'espère que tu connais les pages que je consacre à ce grand artiste depuis janvier 2009 ?
Bien horrifiquement,
Bonjour. ;-)
Connaissez-vois ces pages ?
Merci en tous cas pour cette note personnelle, bien sympathique, telle que je les aime.
https://wrightsoninfrench.pagesperso-orange.fr/corbenaccueil.html
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