[Journal] Le pangolin vous salue bien - Episode 8




Boxer by Basquiat

Weekend de Pâques.
Début de la cinquième semaine de confinement.

Ma compagne et moi nous apprécions notre demi-heure de sortie quotidienne. Nous marchons dans le quartier. La ville regorge de sentiers et d'allées que nous n'avons jamais pris le temps d'arpenter à ce jour. Jour après jour nous dénichons de nouveaux passages, de nouveaux lieux. Nous croisons ainsi la fontaine Couverte. Après quelque recherche, nous plongeons dans l'histoire de Cachan. La fontaine Couverte est construite au IXe siècle pour rassembler l'eau des ruisseaux qui coulent du coteau. Les siècles passent. Nous sommes au début du XVIe siècle. Les écrivains de la Pléiade se baladent à Hercueil (bientôt renommée Arcueil puis Cachan) dans la vallée de la Bièvre. Il est fort possible que la fontaine Couverte soit celle dans laquelle Pierre de Ronsard rafraîchit sa bouteille de vin et qu'il cite dans un poème (l'orthographe est d'époque).

« Va-ten a Hercueil apres,
Mets la table la plus pres
Que pourras de la fonteine:
Mets y la bouteille pleine
Pour refraichir dans le fond »

Le quartier est calme. Peu de véhicules dans les rues. Peu d'avions dans le ciel. Peu de conversations. Nous entendons le chant des oiseaux avec une acuité nouvelle.

A vingt heures de nombreux habitants du quartier applaudissent les soignants et ceux qui sont en première ligne. Une habitante a installé une sono sur son balcon. Elle balance "Alexandrie Alexandra" de Claude François et autres joyeusetés. Ça dure un petit quart d'heure. Le lendemain c'est "Allumez le feu". Nous avons eu « Bohemian Rhapsody » de Queen. Je croise les doigts pour qu'on atteigne « Touch Too Much » d'AC/DC (j'ai le droit de rêver).

Avant l'intervention du Président lundi soir, le Medef, le syndicat patronal, jette un pavé dans la mare ce week-end. Il teste le pouvoir et l'opinion. Histoire de voir si ça fait des ronds dans l'eau. Histoire d'éprouver si nous avalons les recettes patronales les plus rebattues. Que dit le Medef ? Il dit que les travailleurs devront travailler plus pour redresser l'économie française. Que c'est, je cite, la création de richesses qui permettra d'augmenter l'assiette des impôts et donc les recettes, et ainsi de rembourser la dette accumulée pendant la crise. Bref le Medef ne sort pas de son credo habituel. Les vieilles lunes sont de retour. Dans quelques jours ce sera la rengaine « Privatiser les profits, nationaliser les pertes ». La secrétaire d’État à l'Économie embraye aussi sec et prévient qu'il faudra mettre les bouchées doubles pour créer de la richesse collective.
Le secrétaire général de la CFDT, la centrale syndicale réformiste, juge indigne et indécent cet appel à travailler plus. Il invite patronat et politiques à parler de comment les entreprises contribueront demain au bien commun et quels seront leurs engagements pour développer une économie plus vertueuse. Bien vu. Si le patronat cessait de parler de RTT et de congés et voulait bien parler d'organisation du travail, de santé au travail, de dialogue social, de rémunération, nous aurions fait un pas vers une sortie de crise juste et durable. Le sang, la sueur et les larmes nous les affrontons en ce moment. Nul besoin de les promettre. Les fractures sont plus profondes chaque jour, accroissant le risque de tension sociale et politique. Je note que les ministres s'expriment peu ces derniers jours. Entre valse-hésitation et affirmations péremptoires, leur crédibilité est en berne, qui plus est après une année de mépris envers le dialogue social. Reprenez-vous, concentrez-vous, agissez avant tout et parlez à bon escient. Le chef de l'Etat a intérêt à trouver les bons mots lundi soir pour communiquer un enthousiasme mobilisateur malgré les souffrances actuelles.

Lundi soir. Le chef de l'Etat s'exprime. Il souligne d'emblée nos souffrances, nos morts, notre peur. Il salue et remercie. Il parle d'être tous solidaires, fraternels, unis, concitoyens d’un pays qui débat et qui discute. Il parle de vie, de créativité et d’espoir. Il parle de rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française. Je note qu'il conditionne l'économie plus forte à un plan massif pour notre santé, notre recherche, nos aînés. Voici d'excellentes intentions. Nous sommes loin de la ridicule tirade du Medef ce weekend, incapable de sortir des sentiers battus, bloquée sur son idéologie, très en deçà des enjeux. Le chef de l'Etat nous rappelle que le pays tient aujourd’hui sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent mal. Une parole très forte. Rendez-vous est pris dans les prochaines semaines pour dessiner les grands axes du nouveau contrat économique et social.
Le chef de l'Etat parle de fin du confinement au 11 mai. Soit. Il faut dès lors discuter pour définir et valider des protocoles de déconfinement et de reprise d'activité afin de protéger les personnes.
[Journal] Le pangolin vous salue bien - Episode 8 [Journal] Le pangolin vous salue bien - Episode 8 Reviewed by Concerts expos by Pat on avril 17, 2020 Rating: 5

1 commentaire

Kate Walker a dit…

Que d'aventures. Quelle situation historique. Cela fait du bien de lire de tes nouvelles. Des bises !