ORLAN - Michel Journiac - Gloria Friedmann - Maison Européenne de la Photographie (MEP) - du 20/04 au 18/06/2017 - Compte-rendu de visite


UN SOU POUR UN BISOU
L'art corporel en France est à l'honneur dans une grande rétrospective à la MEP. Dérangeant.


Nous sommes en 1979. La jeune allemande Gloria Friedmann attrape un appareil photo et pénètre dans des lieux inoccupés. Armée de quelques objets du quotidien, elle met alors en scène son corps nu dans des pièces vides. Rentrée chez elle, elle retravaille les tirages en noir et blanc avec de la peinture à l’huile. La MEP présente des oeuvres extraites de cette série "Autoportrait, série N°1, 1979", avec une sculpture réalisée spécialement pour cette exposition.
Gloria Friedmann utilise son corps nu comme un élément quasi neutre dans un décor
qu'elle fait vibrer avec des couleurs vives. Un corps neutre mais jamais caché. Un équilibre magique instauré grâce à un subtil mélange de froideur et de chaleur. Le tout avec humour.
Nous apprécions beaucoup ces tirages, qui plus est très joliment accrochés.
Nous pensons à une autre jeune photographe qui avait bousculé à la même époque les codes de représentation du corps féminin. Francesca Woodman se mettait elle aussi en scène dans des lieux vides avec un choix d'objets. Atmosphère fantastique voire inquiétante, travail sur les textures, jeu de cache-cache jusqu'à la disparition de soi de l'image, un résultat tout à fait différent de celui de Gloria Friedmann (ici).



 


Nous montons au dernier étage de la MEP qui est dédié à l'oeuvre de ORLAN, artiste plasticienne. ORLAN que nous venons de croiser en chair et en os au rez de chaussée de la MEP. ORLAN qui n'a de cesse d'interroger le statut du corps féminin face aux pressions politiques, religieuses et sociales. Le travail de l'artiste s'exprime au travers de la photographie, de la peinture, de la sculpture, d'installations, de performances et, plus récemment, des images numériques voire même des biotechnologies. L'oeuvre se veut volontiers provocatrice. ORLAN a marqué les esprits avec une série d'opérations chirurgicales entre 1990 et 1993 qu'elle a présentée en tant que performance artistique médiatisée. La vive polémique alors engendrée ne doit pas cacher les multiples autres oeuvres de l'artiste. Nous apprécions les photographies d'ORLAN en madonne. L'installation-performance "Le Baiser de l'artiste" de 1977 est exposée, avec en prime la présentation du télégramme (!) de licenciement qu'elle a reçue suite au scandale provoqué. A la foire internationale d'art contemporain au Grand Palais, ORLAN s'était assise derrière un carton arborant une photographie grandeur nature de son buste nu. Le tout était transformé en guichet automatique avec la mention "Introduire 5 F _ Le baiser de l'artiste _ Merci". ORLAN rameutait le public en criant : « Approchez approchez, venez sur mon piédestal, celui des mythes : la mère, la pute, l'artiste ». Cette litanie est d'ailleurs diffusée en fond sonore de l'exposition. Au passage nous soulignons que ce fond sonore se révèle un poil crispant sur la longueur. Nous aurions préféré que des pauses soient prévues. Autre grande série, les "Self-Hybridations" (1998-2002), mettant en scène ORLAN dans des métamorphoses physiques, en images numériques cette fois. L'artiste questionne l'image du visage idéal en hydridant son visage avec celui de visages amérindiens, pré-colombiens et africains. Une intention fort louable mais dont le résultat artistique ne nous convainc pas.
L'exposition présente un choix d'une centaine d’œuvres d'ORLAN. De quoi mesurer le travail de performances, l'engagement féministe, la revendication d'un corps érotique, libre d'être nu puis la transformation de ce corps dans un libre élan de créativité. Une guerre au patriarcat des années 1960 et 1970, dans une société qu'il fallait faire évoluer à grands coups de revendications et de provocations. C'est tout l'intérêt de cette exposition que de rappeler le travail d'ORLAN inscrit dans ce contexte historique. Fortement lié à son époque, l'oeuvre, volontiers exubérante, a parfois un peu vieilli. Son extrémisme continue à créer un malaise certain. Nous sortons de l'exposition avec le moral en berne et avec une forte envie de mettre de belles images devant nos yeux.


Nous allons voir les autoportraits de Martial Cherrier, qui photographie son corps bodybuildé. Nous trouvons le résultat inintéressant à nos yeux.

Le corps encore et toujours avec la grande rétrospective des œuvres de l'artiste plasticien Michel Journiac. En 1969 l'artiste propose "Messe pour un corps", une performance au cours de laquelle il propose au public de manger un boudin composé de son propre sang. Le ton est donné. L'art de Michel Journiac est de nature à perturber l'ordre social, ses codes de conduite, ses apparences vestimentaires. Armé de son appareil photo, Michel Journiac tente de piéger ces codes, de les bousculer au travers d'un série de travestissements. C'est "Piège pour un travesti (1972)" ou la série "24 h dans la vie d'une femme ordinaire (1972)". Une année 1972 prolifique puisque l'artiste propose également l'installation "Contrat pour un corps". Il s'agit de transformer votre squelette en oeuvre d'art. Vous pariez pour la peinture, votre squelette est laqué blanc. Vous pariez pour l’objet, votre squelette est revêtu de vos vêtements. Vous pariez pour le fait sociologique, l’étalon or, votre squelette est plaqué or. Les conditions sont au nombre de deux : Céder votre corps à Journiac et mourir. Un squelette plaqué or est exposé. Tout cela se révèle fort dérangeant. Mission accomplie. Le lien est créé avec ORLAN qui a déclaré : « J'ai donné mon corps à l'art, car après ma mort il ne sera pas donné à la science, mais placé dans un musée, momifié. ». Comme chez ORLAN, l’art corporel de Michel Journiac n'est pas là pour faire joli. Il est là pour cristalliser les revendications vis à vis des pressions sociales. "Rituel pour un mort" et "Rituel du sang" en 1976 sont d'autres transgressions notables. Nous sortons de l'exposition avec un goût de sang et de cendres dans la bouche.


En résumé cette rétrospective de l'art corporel en France propose des oeuvres engagées et dérangeantes. La représentation du corps, son rapport aux autres, est intimement lié aux pressions sociales. De fait certaines oeuvres sont à replacer dans le contexte historique des années 60 et 70 (pensez étroitesse du cadre, patriarcat et folles de la messe). Un art corporel qui nous implique moralement et physiquement. Avec la délicatesse d'un coup de poing dans la gueule. Nous sortons lessivés, grognons, cherchant l'air. Avec comme bouffée d'oxygène le souvenir des vibrantes couleurs des oeuvres de Georgia Friedmann.


ORLAN - Michel Journiac - Gloria Friedmann - Maison Européenne de la Photographie (MEP) - du 20/04 au 18/06/2017 - Compte-rendu de visite ORLAN - Michel Journiac - Gloria Friedmann - Maison Européenne de la Photographie (MEP) - du 20/04 au 18/06/2017 - Compte-rendu de visite Reviewed by Concerts expos by Pat on juin 01, 2017 Rating: 5

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