Le Misanthrope - Molière - Comédie Française - Paris - du 21/12/2016 au 26/03/2017

L'AMER EST IMMENSE
Le Misanthrope est joué à la Comédie Française

Sept jours avant la fin de l'année, nous décidons le 24 décembre dernier de passer l'après-midi à la Comédie Française. Nous nous y rendons en famille et entre amis pour voir le Misanthrope de Molière.

 
L'escalier d'honneur est décoré de photographies de paysages prises par Stéphane Lavoué (également responsable des 65 portraits officiels de la troupe de la Comédie Française). Nous passons à travers le Foyer Public où les statues de marbre de Voltaire et Molière se font face. Nous marchons jusqu'au bout de la galerie des bustes. Là nous regardons, protégé par sa cage de verre, le fauteuil avec lequel Molière a joué ses quatre représentations du Malade Imaginaire.


Nous pénétrons dans la salle Richelieu. C'est une salle à l'italienne, en forme de fer à cheval. Une salle en trichromie blanc, rouge et or. Les loges des balcons sont en velours rouge. Le plafond en coupole est orné d'un lustre immense. Assis en corbeille, nous admirons les magnifiques cols de cygne qui servent de séparations entre les loges. Ces structures sont en bois de couleur brun chaud. Les balcons sont en retrait les uns par rapport aux autres. Ceci permet aux spectateurs de s'observer eux mêmes, entre orchestre, corbeille, balcons et loges d'avant-scène. Le spectacle est dans la salle avant le début de la représentation.

La pièce commence avec quelques notes au piano jouées sur scène. Clément Hervieu-Léger a fait le choix d'invoquer dans sa mise en scène les fêtes à l'époque de Louis XIV. De fait les notes au piano reviendront régulièrement emplir l'espace. Tout comme, un peu plus tard, le repas pris ensemble et les jeux de société, autres témoins de ces soirées mondaines. Nous entrons ensuite de plein pied dans l'intrigue de la pièce de Molière. Intrigue que nous vous résumons à toute fin utile. Alceste reproche à son ami Philinte la politesse de ce dernier en société. Alceste, prônant la sincérité dans les rapports humains, exècre l'hypocrisie des obligations sociales au point d'en faire un rejet du genre humain. Pour ajouter à son amertume, Alceste est amoureux de Célimène, une jeune veuve volontiers perfide, attachée aux cruels raffinements mondains. La méprise est totale mais Alceste n'en a cure, il veut conquérir le coeur de la belle pour l'emmener avec lui dans son désert social idéal. Une cohorte de soupirantes et soupirants tourne autour des trois personnages principaux.

La mise en scène de Clément Hervieu-Léger joue habilement avec la profondeur de champ. Une porte en fond de scène dynamise les entrées et sorties des personnages. Un couloir sur la gauche fait de même. L'excellente idée est d'avoir disposé sur la droite deux escaliers, un qui monte jusqu'à une porte donnant sur un couloir et un qui descend sous la scène.

De notre place en corbeille nous n'entendons pas certaines répliques. L'acoustique est pénalisée par une réverbération trop courte par rapport au volume de la salle Richelieu. La voix de Loïc Corbery, dans le rôle d'Alceste, se perd parfois dans la salle. Entre rire amer et soudaine colère, les ondes sonores rebondissent sur le bois et s'absorbent dans les velours. La voix de Célimène, jeune femme virevoltante, mondaine, tout à son plaisir, jouée par Georgia Scalliet, peine elle aussi par moment à être entendue. Trois acteurs sont parfaitement audibles. Eric Génovèse, dans le rôle de Philinte, l'ami d’Alceste à la politesse travaillée. Serge Bagdassarian, magnifique dans le rôle d'Oronte, vaniteux courtisan épris de Célimène. Florence Viala, qui donne une fière allure à Arsinoé, l'amie si jalouse de la jeunesse de Célimène. Pour ajouter aux difficultés d'audition, la mise en scène joue beaucoup avec les objets. Les bruits des couverts de table et des chaises sur le plancher gênent par instants la captation des paroles.

La mise en scène centre la pièce sur l'amour entre Alceste et Célimène. Ce parti-pris est sublimé par des corps-à-corps fougueux entre les deux amants. La demande en mariage d'Alceste à Célimène passe par de vives empoignades et de virulentes étreintes, les personnages se retrouvant haletants à même le sol. Il faut par ailleurs souligner le beau portrait de Philinte, l'ami aidant, celui qui cherche à comprendre, sans être forcément d'accord, toujours prêt à arranger l'affaire.

A côté de ces bruyants éclats de voix, entre jeu social et élan du coeur, la mise en scène fait le choix du silence. Clément Hervieu-Léger donne à ressentir le temps qui passe. La luminosité derrière les fenêtres varie en fonction du passage des heures. Des domestiques, à la délicate discrétion, montent ou descendent un lustre, déplacent meubles et objets, rangent le linge, dressent une table, la desservent. Dans cette représentation virevoltante, haletante, Clément Hervieu-Léger introduit une longueur de temps qui se fait trop rare de nos jours.

Le Misanthrope est une pièce riche, aux personnages complexes. Alceste peut paraître tour à tour raisonné, ridicule, colérique, attachant, insupportable voire répulsif. Loïc Corbery amplifie chaque geste. Hurlant et pantelant, il joue un Alceste dominé par sa haine. C'est l'occasion de découvrir les nuances du personnage de Célimène, campée avec fraîcheur par Georgia Scalliet. Malgré la noirceur certaine du propos, le rire fuse régulièrement. Il s'agit bien d'une comédie avant tout et non d'une tragédie.
La fin de la représentation est bouleversante. Alceste et Célimène font face l'un et l'autre à leur mort sociale. Leur solitude est totale. Les notes de piano qui retentissent donnent le dernier mot à la musique. Puis au silence.

Une belle représentation moderne du Misanthrope.

Les prises de vue n'étant pas autorisées dans la salle Richelieu de l'Académie Française, voici, pour illustrer cet article, une maquette que nous avons croisée au Café de la Régence.


Le Misanthrope - Molière - Comédie Française - Paris - du 21/12/2016 au 26/03/2017 Le Misanthrope - Molière - Comédie Française - Paris - du 21/12/2016 au 26/03/2017 Reviewed by Concerts expos by Pat on janvier 02, 2017 Rating: 5

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