La Peinture américaine des années 1930 - Musée de l'Orangerie - Paris - du 12/10/2016 au 30/01/2017 - Compte-rendu de visite

TOILES SUR FOND DE CRISE
Le Musée de l'Orangerie expose la peinture américaine des années 1930. Un parcours passionnant.

"Si vous pouviez le dire avec des mots,
il n'y aurait aucune raison de le peindre"
Edward Hopper


En 1929 les États-Unis plongèrent dans une période de trouble économique et social, la Grande Dépression. Toute une génération perdit son emploi, sa maison, ses économies et, en conséquence, sa dignité. Le mythe du progrès américain en prit un coup. La nation américaine est encore jeune lorsqu'elle subit cette crise. Les peintres interrogent alors l'identité du pays et, se faisant, définissent les fondations de la peinture américaine.

Le Musée de l'Orangerie expose cinquante peintures des années 1930. Certaines sont exposées pour la première fois en France, comme "American Gothic" de Grant Wood, toile devenue une icône de l’art américain. Son sujet, un paysan et sa fille célibataire devant un chalet de style néo-gothique, a été maintes fois parodié.
Nous vous proposons ci-après notre sélection, forcément subjective.

Il faut souligner la remarquable qualité des informations fournies par les organisateurs de cette exposition. La présentation des toiles est répartie en plusieurs thèmes, tous très bien renseignés, qui plus est dans une langue d'une clarté limpide. Les oeuvres sont présentées individuellement avec des notes fort instructives. Nous soulignons cependant que les textes accompagnant chaque oeuvre sont écrits en très petits caractères. Des personnes peuvent avoir du mal à lire ces textes. Nous vous conseillons de vous procurer le dossier de presse avec tous les textes inclus (il est disponible ici).

Dans la première salle on peut admirer "Cow's Skull with Calico Roses", un crâne de vache avec des roses, superbe oeuvre de Georgia O'Keeffe.

Georgia O'Keeffe, Cow's Skull with Calico Roses, 1931

La peinture américaine des années 1930 est dominée par une sensibilité réaliste. Il s'agit de décrire le contexte urbain ou rural. Une salle est consacrée au contraste entre les terribles effets de la Grande Dépression et la potentiel de puissance industrielle et commerciale des États-Unis. La croyance dans les bienfaits du capitalisme vacille. L'industrie est tour à tour défendue ou vilipendée. Communisme, socialisme et organisations ouvrières se développent dans les zones urbaines. Charles Sheeler peint "American Landscape" en 1930, une superbe représentation de l'usine de Ford à River Rouge. En 1939 il peint "Suspended Power", une turbine en suspension, d'un rose somptueux, qui souligne la volonté de puissance du pays face à une probable entrée en guerre.

Charles Sheeler, American Landscape, 1930

Dans les campagnes les agriculteurs sont entraînés dans un terrible cycle d’endettement et de faillites. Une série de tempêtes de poussières dévastent la région des Grandes Plaines. La sécheresse est absolue et féroce. Alexandre Hogue peint "Erosion No. 2 - Mother Earth Laid Bare" en 1936. Littéralement "Notre Mère la Terre est mise à nu".

Alexandre Hogue, Erosion No. 2 - Mother Earth Laid Bare,1936

Grant Wood, décidément un des peintres phares de cette exposition, s'écarte de cette vision réaliste de la sécheresse. Dans "Young Corn", en 1931, en plaçant de minuscules planteurs de maïs dans un immense paysage idyllique, Grant Wood évoque un rapport harmonieux, bien que rude, de l’agriculteur à la nature.

Grant Wood, Young Corn, 1931

Les difficultés économiques et sociales entraînent un besoin d’évasion. En ville les cinémas, les salles de concert, les music-halls se développent. Journaux et actualités inventent le star-system ou comment offrir une distraction à peu de frais, entre rêve et ragots. Les peintres représentent la ville spectacle avec audace. Ainsi, en 1934, Philip Evergood peint "Dance Marathon", une effrayante évocation des marathons de danse, ces concours qui voyaient des couples chercher à gagner un peu d'argent en dansant pendant des jours, voire des semaines, sans interruption. La toile est folle et macabre, comme son sujet.

Nous pouvons admirer "New York Movie", toile peinte par Edward Hopper en 1939, qui représente l'intérieur d'un cinéma, aux couleurs chaudes, avec une ouvreuse soucieuse en premier plan. L'occasion rêvée de voir de prêt la technique de l'artiste. Le caractère photographique de l'oeuvre s'estompe quand nous nous approchons. Seule la femme est peinte avec précision. Le contraste est saisissant et renforce l'impact de l'oeuvre. Magnifique.

Edward Hopper, New York Movie, 1939

Face à la Grande Dépression, la tentation est forte pour des américains désemparés de se tourner vers le passé. Un passé idéalisé car porteur d'identité. Grant Wood, incontournable, évoque en 1931, dans sa toile "The Midnight Ride of Paul Revere", un épisode légendaire du début de la Guerre d’Indépendance des Etats-Unis. En avril 1775, Paul Revere aurait parcouru de nuit, sur son cheval, l’Etat de Nouvelle-Angleterre afin de prévenir les villages de l’appel aux armes contre les Anglais. Nous pouvons admirer la toile de prêt et elle est de toute beauté. Nulle représentation sur Internet ne peut rendre l'esthétique stupéfiante de l'oeuvre. L'ambiance nocturne est admirablement suggérée quand bien même tout est parfaitement lisible. Au bout de la route d'où a jailli le cavalier, on aperçoit les lumières dans les villages déjà alertés. Les maisons au premier plan s'éclairent au fur et à mesure de l'avancée de Paul Revere. Les habitants sortent de leur sommeil, tous parfaitement campés dans leur gestuelle. Tout est rond et parfait comme dans un livre pour enfants, effet renforcé par la vue plongeante. Ne ratez pas cette toile. Sous vos yeux elle se déploie dans toute sa magnificence.

Le traumatisme de la Grande Dépression engendre également des oeuvres sombres. Autoportraits anxieux. Cauchemars surréalistes. La violence est présente partout. Les conflits et les persécutions en Europe frappent par leur horreur et la menace d'un extension mondiale des atrocités. La guerre civile espagnole a d'ores et déjà démarrée. Philip Guston peint "Bombardment" en 1937, évocation du bombardement de la ville basque espagnole de Guernica par l’aviation allemande. La forme, un tondo, support de format rond, est originale. L'oeuvre est dynamique, puissante, effrayante.

Aux Etats-Unis la violence raciale est d'une cruelle actualité. Joe Jones peint "American Justice" en 1933, un titre cinglant pour une toile représentant le lynchage d'une femme par des membres cagoulés du Ku-Klux-Klan.

Joe Jones, American Justice, 1933


Dans la dernière salle nous pouvons voir des extraits de films des années 1930 dont "Autant en emporte le vent" de Victor Fleming en 1939 et "Les raisins de la colère" de John Ford en 1940.


Une très belle exposition.


"Il y a là un crime si monstrueux qu’il dépasse l’entendement.
Il y a là une souffrance telle
qu’elle ne saurait être symbolisée par des larmes.
Il y a là une faillite si retentissante
qu’elle annihile toutes les réussites antérieures."
Les Raisins de la colère
John Steinbeck - 1939
La Peinture américaine des années 1930 - Musée de l'Orangerie - Paris - du 12/10/2016 au 30/01/2017 - Compte-rendu de visite La Peinture américaine des années 1930 - Musée de l'Orangerie - Paris - du 12/10/2016 au 30/01/2017 - Compte-rendu de visite Reviewed by Concerts expos by Pat on octobre 29, 2016 Rating: 5

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