Beat Generation - Rétrospective - Centre Pompidou - Paris - du 22/06 au 03/10/2016 - Compte-rendu de visite

ROUTE DEVIEE
Le Centre Pompidou consacre une rétrospective à la Beat Generation. Dense.

"Je n’avais rien de spécial à dire en ce temps-là,
maintenant non plus.
Rien n’est historique.
William S. Burroughs (1974)


La Beat Generation c'est avant tout un groupe d'amis. William Burroughs, Allen Ginsberg et Jack Kerouac se rencontrent à New York en 1944 à l'université Columbia. Le trio a en commun de n'avoir aucun goût pour les idéaux collectifs. Il s'agit moins pour eux de proposer un nouvel idéal que de rejeter les conventions sociales de l'American way of life (avoir un travail régulier, fonder une famille). Les écrivains beats privilégient le voyage. Ils absorbent quantité de drogues. Ils parcourent les routes des Etats-Unis (New-York puis San Francisco) et du monde (Mexique, Tanger, Paris). A la fin des années cinquante, le trio sort trois oeuvres majeures de la littérature du XXe siècle : Howl d'Allen Ginsberg en 1956, Sur la route de Jack Kerouac en 1957 et Le Festin nu de William S. Burroughs en 1959. Ces oeuvres sont des coups-de-poing dans le monde de l'édition d'alors. En s'inspirant du rythme du jazz, en donnant une voix aux homosexuels, en proposant un art de vivre contemplatif, en expérimentant dans la technique d'écriture, la Beat Generation ouvre la voix à la génération suivante.
Que propose la rétrospective au Centre Pompidou ?

 
Ce qui frappe dès l'entrée dans l'exposition, c'est le choix d'utiliser des modes de présentation à l'ancienne (disques vinyles et tourne-disques, carrousels de diapositives, projecteurs 16 mm). Un clin d'oeil au fait que les artistes de la Beat Generation ont utilisé des moyens de reproduction textuelle, sonore et visuelle dans leur oeuvre. Nous pouvons contempler de nombreux exemples de ces moyens : machine à écrire mais aussi transistor, électrophone, pick-up, magnétophone, appareil photo, caméra, imprimante. Les pratiques artistiques de la Beat Generation intègrent lectures, performances, concerts, photographies, dessins et films. Nous pouvons voir de nombreuses photographies prises par Allen Ginsberg, avec les annotations de l'auteur. Les œuvres Beat tiennent volontiers du bricolage. Couper, coller, assembler, mélanger, recomposer. Jack Kerouac écrit le texte du roman "Sur la route" sur un rouleau ininterrompu. Les trente-six mètres du rouleau sont alignés dans l'exposition, scindant l'espace en deux. Le trio d'amis d'origine est rejoint par une dizaine de personnes. L'exposition présente également des dessins réalisés par les différents artistes Beat. De nombreux artistes vont être influencés par les artistes Beat. Ainsi on aperçoit Allen Ginsberg dans le clip d'une chanson de Bob Dylan, musicien lui-même grand amateur de Jack Kerouac. L'exposition se poursuit avec une très belle scénographie. Les affichettes fluos des Singing Posters d’Allen Ruppersberg tapissent deux murs, avec au milieu une vitre offrant une magnifique vue sur Paris. Dans la deuxième partie de l'exposition, l'avalanche de noms de personnes continue. Nous pouvons ainsi contempler la série "The Americans" de Robert Frank, photographe qui a travaillé avec Jack Kerouac.





A ce stade de l'exposition, nous constatons que nous sommes submergés par une quantité hallucinante d'informations. Entre les personnes qui entrent et sortent du cercle d'amis et celles qui trouvent inspiration dans les oeuvres, nous sommes face à de trop nombreuses données disparates. Ce qui a rendu le trio célèbre, ce qui a donné sa substance à la Beat Generation, n'étaient-ce pas avant tout trois oeuvres littéraires fondatrices ? De quoi parlaient ces oeuvres ? En quoi étaient-elles révolutionnaires tant par le contenu que par la forme ? Comment évoquer ces textes ? Quel est leur héritage ? Sur toutes ces questions nous devons constater que l'exposition de donne pas de réponse, préférant nous laisser errer dans un jeu de piste certes riche mais par trop complexe à résoudre. Même en connaissant les oeuvres, le parcours de l'exposition est un peu raide. Coupure/

En 1989, je lis Le Festin nu. C'est trente ans après sa parution. Je suis sous le choc. C'est un roman cruel, froid, avec des visions hallucinées et une écriture épatante. Extrait : "Dorures et peluche vermillon. Un bar rococo devant un mur de coquillages roses. L'air est chargé d'une odeur écœurante et maléfique de miel moisi. Les invités des deux sexes, en tenue de soirée, boivent leurs pousse-café avec des chalumeaux d'albâtre. Un Mugwump levantin se prélasse tout nu sur un tabouret de bar recouvert de soie rose. Il lèche d'une longue langue noire un caillot de miel tiède au fond d'une coupe de cristal. Ses parties génitales sont d'un dessin exquis, sexe bien circoncis, poils noirs et lustrés. Il a des lèvres très minces d'un bleu violet de gland, des yeux vides et calmes d'insecte. Les Mugwumps n'ont pas de foie et se nourrissent exclusivement de sucreries." Je poursuis ma découverte de l'oeuvre de William S. Burroughs avec le livre "Junkie", immense témoignage sur l'état physique et mental d'un accroc à l'héroïne. Dans les deux cas l'écriture est magistrale. C'est un plaisir de lecture qui offre une nouvelle perception du réel, onirique, contemplative et écorchée. Je lis ensuite de nombreuses autres oeuvres de William Burroughs et découvre un personnage qui ne cache rien de ses expériences pour le moins extrêmes. Ecriture expérimentale certes mais aussi drogues, armes à feu (il loge une balle dans la tête de sa femme, par accident), goût affiché pour les relations sexuelles avec des adolescents. J'embraye sur Jack Kerouac et l'errance de Sur la route. Reprise/

Nous ne ressentons pas dans cette exposition la flamboyance des écrits de la Beat Generation. Où est l'errance ? Où est la violence ? Où est la sexualité ? Où est la drogue ? Où est la sidérante capacité à faire jaillir des images folles par le seul pouvoir des mots ? Où sont les comportements extrêmes ? L'exposition se révèle très riche en informations et en données mais, à force de mettre au premier plan des seconds rôles, elle peine à évoquer la révolution culturelle provoquée par les trois oeuvres fondatrices et ne fait qu'effleurer la personnalité de leurs auteurs.



Beat Generation - Rétrospective - Centre Pompidou - Paris - du 22/06 au 03/10/2016 - Compte-rendu de visite Beat Generation - Rétrospective - Centre Pompidou - Paris - du 22/06 au 03/10/2016 - Compte-rendu de visite Reviewed by Concerts expos by Pat on août 17, 2016 Rating: 5

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