Jacques Higelin est mort, qui, qui dit mieux ? 1940 - 2018

"J'suis mort qui, qui dit mieux
Ben mon pauv'vieux, voilà aut'chose
J'suis mort qui, qui dit mieux
Mort le venin, coupée la rose
J'ai perdu mon âme en chemin
Qui qui la r'trouve s'la mette aux choses
J'ai perdu mon âme en chemin
Qui qui la r'trouve la jette aux chiens"
Jacques Higelin -1971

Jacques Higelin est entré dans ma vie un soir de 1979. Je regardais une émission du Grand Echiquier consacrée à l'humoriste Guy Bedos. Parmi les invités surgit un chanteur aux yeux fardés, le cheveu punk, habillé de rouge et couvert d'une cape noire. Higelin vient interprèter "Champagne". La mise en scène est théâtrale avec complices déguisés en muse et autre bossu. Quatre minutes de pur éblouissement. Higelin conclut en éclatant de rire et jette à ses lèvres une coupe de champagne. J'étais conquis. Vite, je fais le tour des darons et des amis pour dénicher des disques de l'artiste. Je rattrape en quelques mois plusieurs années de discographie. Autant te dire que l'émerveillement est immense. Le disque qui va marquer durablement mes goûts c'est le joyau sonore "No Man's Land" en 1978 avec, entre autre facettes lumineuses, le superbe morceau "Pars". Autre album de toute beauté, "Alertez les bébés" en 1976 avec le fébrile titre éponyme mais aussi " J'suis qu'un grain de poussière". "Irradié" en 1975 contient le morceau du même titre, qui sera un immense classique en concert. L'album contient également un de mes coups de coeur : "La fille au coeur glacé". "BBH 75" en 1974 est rempli jusqu'à gueule de la violence des banlieues. Les mots et les musiques emplissent mon coeur et mon âme. Higelin déploie un univers vaste, emplie de fulgurances lumineuses et animée par une sourde colère. Les deux albums en 1979, "Champagne pour tout le monde ..." et "... Caviar pour les autres", sont une mine de pépites. La rage et la mélancolie sont toujours présentes et Jacques Higelin y ajoute le vaudeville de théâtre ("Dans mon aéroplane blindé" ou autre "L'attentat à la pudeur"). Le succès est au rendez-vous et permet la réédition des joyaux sortis au début des années soixante-dix. "Higelin et Areski", "Jacques Crabouif Higelin" (complétés d'un "Inédits 70" du meilleur niveau) montrent le talent de Jacques Higelin dans le registre folk. Au delà de la magnificence des morceaux ("Remember", "Je suis mort qui, qui dit mieux"), ces albums montrent que la musique de Jacques Higelin se situe dans le prolongement d'une tradition de la chanson française (Brassens, Boris Vian, Charles Trenet). L'électrification du son à partir de 1974 n'est en aucun cas dû à une volonté de singer le gros son anglo-saxon, c'est un acte créatif qui colle parfaitement à la sensibilité de l'artiste. En 1981 le disque "Higelin à Mogador" grave sur triple vinyle la puissance déployée par Higelin en concert. Peu de temps après je vois Jacques Higelin pour la première fois en concert, malheureusement dans une salle au son absolument déplorable. J'aurai l'occasion de me rattraper plus tard. J'ajoute le 33 tours de la "La bande du Rex" à ma collection et je déguste "Higelin '82". Voilà, en trois années, de mes treize ans à mes seize ans, je viens de découvrir une dizaine d'albums de Jacques Higelin. J'en suis marqué à tout jamais. J'ai aussi vivement apprécié le jeu d'acteur de Jacques dans "Elle court, elle court la banlieue", un film datant de 1973. Je suis ensuite la discographie de Jacques Higelin de plus loin, effleurant des albums de qualité sans y entrer aussi pleinement que précédemment. L'oreille est ailleurs. Je replonge en amour de l'artiste en 2005 avec la tournée de reprises de Charles Trenet puis à partir de la sortie du magnifique album "Amor Doloroso". Un retour en grâce. La musique est splendide, les arrangements somptueux, la sensibilité à fleur de peau. Jacques Higelin parle de ses enfants, de ses amours, de hauteurs immaculées et de gouffres fangeux. De la vie et de la mort, comme toujours, mais la mort plus présente et la vie plus intense. Je chiale en écoutant l'album comme je chiale dorénavant à chaque concert de Jacques Higelin. Comme je ris aussi. Tout un registre de belles émotions. Le plaisir est palpable dans ces concerts, il flotte dans la salle. Les concerts ne se ressemblent pas, avec Higelin c'est toujours la surprise, c'est tantôt tout en douceur, tantôt tout électrique, parfois d'une maîtrise absolue et parfois totalement foutraque. En écoutant le dernier album "Higelin 75", comme 75 ans, j'ai entendu ce vers où Jacques évoque les vautours de la mafia nécrologique. Tombé de rideau. Mission accomplie, cher messager. Amour toujours.