[Journal] Le pangolin vous salue bien - Episode 1
Je me rappelle d'avant la guerre. En début d'année la chaîne ARTE a diffusé un reportage sur un centre vétérinaire vietnamien qui soigne des pangolins confisqués par les douaniers. Ces petits mammifères sont victimes de braconnage et sont désormais menacés d'extinction. Les écailles de la bestiole sont recherchés et leur viande est appréciée au Vietnam et en Chine.
Je me rappelle d'avant la guerre. Un nouveau virus est apparu en décembre dans un marché de viande d'animaux sauvages de la ville de Wuhan en Chine. En fin janvier la Chine a annoncé l'interdiction du commerce d’animaux sauvages, soupçonnant que le pangolin a servi d'intermédiaire pour transmettre le virus à l'homme.
Je me rappelle du jour de la déclaration de guerre. Le 16 mars le Président français parle à 20 h : « Nous sommes en guerre ! ». Le message est martelé six fois. La mine est sévère. Un peu d'accent gaullien. Ne vous inquiétez pas, nous sommes en guerre mais je suis aux manettes. Le Président n'est pas content. Nous n'avons pas compris. Il doit ar-ti-cu-ler pour que nous entendions bien. « Nous sommes en guerre ! » et les français se baladent dans les rues. « Nous sommes en guerre ! » et les jeunes jouent au foot. « Nous sommes en guerre ! » et ses conseillers lui ont rapporté avoir vu des personnes faire du vélo. Rendez-vous compte. « Nous sommes en guerre ! » et les parcs étaient hier dimanche après-midi emplis de badauds savourant les premières chaleurs du presque arrivé printemps. « Nous sommes en guerre ! » et Paris, sa banlieue, les villes, villages et lieux-dits de France bruissent de vie et d'animation. « Nous sommes en guerre ! » et hier matin nous sommes allés voter aux municipales. Nous n'avons rien compris. Les municipales c'était très important. Il fallait se laver les mains au gel avant de glisser l'enveloppe ou d'appuyer sur le bouton. Des gestes barrières il dit. Mais nous n'avions rien compris. Il fallait tout de suite retourner chez soi. Du coup ce lundi soir c'est beaucoup plus clair. Le Président nous tape sur les mains avec sa grosse règle de professeur d'antan. Comme le disait ma grand-mère : « ordre mal formulé, exécution malhabile ». Le gouvernement a décidé de prendre des mesures pour réduire à leur plus strict minimum les contacts et les déplacements. Nous y sommes. Un dispositif de confinement est mis en place sur l’ensemble du territoire à compter du mardi 17 mars à 12 h, pour quinze jours minimum. Demain midi seulement, le temps qu'on s'organise vu que nous sommes du genre dur à la détente. Ses conseillers ont pesé chaque mot. Tout servira de preuve à charge de part et d'autre en cas de futur procès pour scandale sanitaire. Le verdict est connu d'avance. Responsable mais non coupable.
Mardi 17. La France se réveille avec la gueule de bois. Premier jour du confinement. Le vrai, celui d'après le coming-out du gouvernement. Nous sommes en guerre. Les déplacements sont interdits sauf pour se déplacer de son domicile à son lieu de travail dès lors que le télétravail n’est pas possible. Comment vont-ils vivre ça ceux qui ne peuvent pas être en télétravail ? Avec la peur au ventre dans les transports en commun et à son poste. Dans l'attente d'espérer avoir du gel, des masques, des consignes de sécurité effectives et applicables, autre chose que des grandes phrases. Tout est prêt mais rien ne l'est. Il faut une attestation signée pour chaque sortie, pour faire ses achats de première nécessité dans les commerces de proximité autorisés, pour se rendre auprès d’un professionnel de santé, pour se déplacer pour la garde de ses enfants ou pour aider les personnes vulnérables à la stricte condition de respecter les gestes barrières, pour faire de l’exercice physique uniquement à titre individuel autour du domicile. Dès le mardi les policiers vérifient les attestations. Le gouvernement a prévenu. 100 000 policiers vont nous surveiller. Ils ne verbalisent pas encore. La loi autorisant les amendes ne sera publiée que mercredi.
Nous sommes quatre à la maison, moi, ma femme et les deux garçons, tous deux en école prépa. Les cours se font déjà à distance. Dorénavant nous sommes tous les quatre en télétravail. C'est un avantage de pouvoir être en télétravail. Je pense à ceux qui n'ont pas internet, comment vont-ils faire ? Mes deux filles sont grandes et vivent leur vie, l'une en master, l'autre est déjà dans la vie active. Elles sont également en télétravail.
Nous prenons le petit déjeuner. Un jogger passe dans la rue. Il est seul. C'est déjà désert dans les rues. Nous avons basculer dans un autre monde. Nous nous disons que notre génération n'a jamais connu cette situation. Je ne comprends pas le coup de l'attestation de sortie, ça me semble hors de proportion. Ne serait-ce pas une volonté du pouvoir de protéger les citoyens des voleurs, les monuments des dégradations, les boutiques des vols ? Je n'ai pas pas encore compris dans quel monde nous venons de basculer. Nous sommes devenus notre propre ennemi. Il va falloir plusieurs jours pour que ça rentre dans ma tête. Mais, alors, les personnes qui se rendent au travail ? Elles doivent rester chez elles, non ? Elles le devraient quand elles ne sont pas indispensables à la santé et à la protection des personnes, non ?
Nous nous faisons la réflexion que les escrocs doivent être en ébullition, cherchant tous les moyens de profiter de la peur et de l'inquiétude pour dévaliser leur prochain.
Le confinement va échauffer les esprits. Nous sommes souvent à l'intérieur mais jamais autant de temps, jamais avec une telle permanence. Il va falloir penser à faire du sport pour que ça ne chauffe pas trop là dedans. Il faut cadencer la journée pour les personnes qui ne sont pas habituées au télétravail. Je fais régulièrement du télétravail du coup j'ai mes marques.
Je me demande si je dois écrire un journal de guerre. Je conclus que c'est une connerie. Un de plus, à quoi bon ? C'est ma femme qui finalement me convainc d'écrire. Il m'aura fallu deux semaines pour m'y mettre. Garder une trace pour nous de cette période. Pourquoi pas, mais en synthèse alors, par paquet de souvenirs. J'écris ces lignes le 28 mars.
Mardi 17 mars, toujours. « On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade » déclare Agnès Buzyn dans Le Monde à propos des municipales. Nous sommes loin du discours gaullien du chef hier soir. Là c'est du brut, de la gorge serrée, la boule au ventre, l'aveu d'avoir fait une connerie catastrophique. La même Agnès nous expliquait en janvier que jamais le virus ne pourrait atteindre la France. Comment voulez-vous qu'il nous atteigne depuis le pittoresque marché aux animaux sauvages de Wuhan ? L’ex-ministre de la santé, tout juste jetée dans la campagne des municipales en pleine crise du Covid-19, vient de dire qu'elle a merdé à plusieurs reprises. Ou si ce n'est pas elle toute seule, c'est le gouvernement. Suite à ses propos le chef lui tape très fort sur les doigts. Elle bafouille de douleur, balbutie quelques mots. Puis elle se tait. Nous sourions jaune.
Le virus est dans l'air. Il ne demande qu'à se déclencher. Sauf que là nous avons des gestes barrières. Ouf ! Nous sommes sauvés. « Nous sommes en guerre ! » mais rassurez-vous, en appliquant les gestes barrières ça va aller. Plus ou moins. J'ai soudain une grosse envie de détente le mardi soir. Je regarde « Les vacances de Mr Bean. Je me poile tout du long. C'est une merveille ce film.
Je me rappelle d'avant la guerre. Un nouveau virus est apparu en décembre dans un marché de viande d'animaux sauvages de la ville de Wuhan en Chine. En fin janvier la Chine a annoncé l'interdiction du commerce d’animaux sauvages, soupçonnant que le pangolin a servi d'intermédiaire pour transmettre le virus à l'homme.
Je me rappelle du jour de la déclaration de guerre. Le 16 mars le Président français parle à 20 h : « Nous sommes en guerre ! ». Le message est martelé six fois. La mine est sévère. Un peu d'accent gaullien. Ne vous inquiétez pas, nous sommes en guerre mais je suis aux manettes. Le Président n'est pas content. Nous n'avons pas compris. Il doit ar-ti-cu-ler pour que nous entendions bien. « Nous sommes en guerre ! » et les français se baladent dans les rues. « Nous sommes en guerre ! » et les jeunes jouent au foot. « Nous sommes en guerre ! » et ses conseillers lui ont rapporté avoir vu des personnes faire du vélo. Rendez-vous compte. « Nous sommes en guerre ! » et les parcs étaient hier dimanche après-midi emplis de badauds savourant les premières chaleurs du presque arrivé printemps. « Nous sommes en guerre ! » et Paris, sa banlieue, les villes, villages et lieux-dits de France bruissent de vie et d'animation. « Nous sommes en guerre ! » et hier matin nous sommes allés voter aux municipales. Nous n'avons rien compris. Les municipales c'était très important. Il fallait se laver les mains au gel avant de glisser l'enveloppe ou d'appuyer sur le bouton. Des gestes barrières il dit. Mais nous n'avions rien compris. Il fallait tout de suite retourner chez soi. Du coup ce lundi soir c'est beaucoup plus clair. Le Président nous tape sur les mains avec sa grosse règle de professeur d'antan. Comme le disait ma grand-mère : « ordre mal formulé, exécution malhabile ». Le gouvernement a décidé de prendre des mesures pour réduire à leur plus strict minimum les contacts et les déplacements. Nous y sommes. Un dispositif de confinement est mis en place sur l’ensemble du territoire à compter du mardi 17 mars à 12 h, pour quinze jours minimum. Demain midi seulement, le temps qu'on s'organise vu que nous sommes du genre dur à la détente. Ses conseillers ont pesé chaque mot. Tout servira de preuve à charge de part et d'autre en cas de futur procès pour scandale sanitaire. Le verdict est connu d'avance. Responsable mais non coupable.
Mardi 17. La France se réveille avec la gueule de bois. Premier jour du confinement. Le vrai, celui d'après le coming-out du gouvernement. Nous sommes en guerre. Les déplacements sont interdits sauf pour se déplacer de son domicile à son lieu de travail dès lors que le télétravail n’est pas possible. Comment vont-ils vivre ça ceux qui ne peuvent pas être en télétravail ? Avec la peur au ventre dans les transports en commun et à son poste. Dans l'attente d'espérer avoir du gel, des masques, des consignes de sécurité effectives et applicables, autre chose que des grandes phrases. Tout est prêt mais rien ne l'est. Il faut une attestation signée pour chaque sortie, pour faire ses achats de première nécessité dans les commerces de proximité autorisés, pour se rendre auprès d’un professionnel de santé, pour se déplacer pour la garde de ses enfants ou pour aider les personnes vulnérables à la stricte condition de respecter les gestes barrières, pour faire de l’exercice physique uniquement à titre individuel autour du domicile. Dès le mardi les policiers vérifient les attestations. Le gouvernement a prévenu. 100 000 policiers vont nous surveiller. Ils ne verbalisent pas encore. La loi autorisant les amendes ne sera publiée que mercredi.
Nous sommes quatre à la maison, moi, ma femme et les deux garçons, tous deux en école prépa. Les cours se font déjà à distance. Dorénavant nous sommes tous les quatre en télétravail. C'est un avantage de pouvoir être en télétravail. Je pense à ceux qui n'ont pas internet, comment vont-ils faire ? Mes deux filles sont grandes et vivent leur vie, l'une en master, l'autre est déjà dans la vie active. Elles sont également en télétravail.
Nous prenons le petit déjeuner. Un jogger passe dans la rue. Il est seul. C'est déjà désert dans les rues. Nous avons basculer dans un autre monde. Nous nous disons que notre génération n'a jamais connu cette situation. Je ne comprends pas le coup de l'attestation de sortie, ça me semble hors de proportion. Ne serait-ce pas une volonté du pouvoir de protéger les citoyens des voleurs, les monuments des dégradations, les boutiques des vols ? Je n'ai pas pas encore compris dans quel monde nous venons de basculer. Nous sommes devenus notre propre ennemi. Il va falloir plusieurs jours pour que ça rentre dans ma tête. Mais, alors, les personnes qui se rendent au travail ? Elles doivent rester chez elles, non ? Elles le devraient quand elles ne sont pas indispensables à la santé et à la protection des personnes, non ?
Nous nous faisons la réflexion que les escrocs doivent être en ébullition, cherchant tous les moyens de profiter de la peur et de l'inquiétude pour dévaliser leur prochain.
Le confinement va échauffer les esprits. Nous sommes souvent à l'intérieur mais jamais autant de temps, jamais avec une telle permanence. Il va falloir penser à faire du sport pour que ça ne chauffe pas trop là dedans. Il faut cadencer la journée pour les personnes qui ne sont pas habituées au télétravail. Je fais régulièrement du télétravail du coup j'ai mes marques.
Je me demande si je dois écrire un journal de guerre. Je conclus que c'est une connerie. Un de plus, à quoi bon ? C'est ma femme qui finalement me convainc d'écrire. Il m'aura fallu deux semaines pour m'y mettre. Garder une trace pour nous de cette période. Pourquoi pas, mais en synthèse alors, par paquet de souvenirs. J'écris ces lignes le 28 mars.
Mardi 17 mars, toujours. « On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade » déclare Agnès Buzyn dans Le Monde à propos des municipales. Nous sommes loin du discours gaullien du chef hier soir. Là c'est du brut, de la gorge serrée, la boule au ventre, l'aveu d'avoir fait une connerie catastrophique. La même Agnès nous expliquait en janvier que jamais le virus ne pourrait atteindre la France. Comment voulez-vous qu'il nous atteigne depuis le pittoresque marché aux animaux sauvages de Wuhan ? L’ex-ministre de la santé, tout juste jetée dans la campagne des municipales en pleine crise du Covid-19, vient de dire qu'elle a merdé à plusieurs reprises. Ou si ce n'est pas elle toute seule, c'est le gouvernement. Suite à ses propos le chef lui tape très fort sur les doigts. Elle bafouille de douleur, balbutie quelques mots. Puis elle se tait. Nous sourions jaune.
Le virus est dans l'air. Il ne demande qu'à se déclencher. Sauf que là nous avons des gestes barrières. Ouf ! Nous sommes sauvés. « Nous sommes en guerre ! » mais rassurez-vous, en appliquant les gestes barrières ça va aller. Plus ou moins. J'ai soudain une grosse envie de détente le mardi soir. Je regarde « Les vacances de Mr Bean. Je me poile tout du long. C'est une merveille ce film.
[Journal] Le pangolin vous salue bien - Episode 1
Reviewed by Concerts expos by Pat
on
mars 28, 2020
Rating:
1 commentaire
Bonne idée ce journal de bord, je compte y être fidèle ! Contente d'avoir des nouvelles et de voir que nos pensées se connectent en cette période inédite et déroutante. Des bisous de Paris 15.
Enregistrer un commentaire