Angellore - La Litanie des Cendres - Chronique de l'album

ELEVATION
"Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins;"

Elévation (extrait) - Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal - 1857

Il arrive qu'une musique génère des émotions qui remuent mon esprit de manière intime. Comme si les notes entendues faisaient écho à ma propre nature. Quand une telle connexion est établie les harmonies peuvent embarquer ma conscience dans un fabuleux voyage. Le groupe Angellore m'invite à ce type de traversée dans son deuxième album, "La Litanie des Cendres", sorti en 2015. Je vous ai déjà dit ici tout le bien que je pense de leur premier album "Errances" sorti en 2013. Le pas franchi par le groupe est impressionnant tant le deuxième album est en tout point admirable.


Angellore est un groupe français composé de Rosarius au chant, guitare, basse et claviers, de Walran au chant et claviers et de Ronnie à la batterie. Deux femmes sont invitées sur le présent album : Lucia au chant et Cathy au violon (nous avions déjà apprécié le jeu de Cathy sur l'album "Errances"). Angellore situe ses morceaux dans le registre du doom metal atmosphérique. Les références revendiquées sont plus particulièrement les groupes de doom gothique apparus au milieu des années quatre-vingt-dix. ont Ces groupes ont introduit dans le métal une veine atmosphérique, sentimentale et sombre. Pensez à des noms tels que Draconian, Saturnus, Shape of Despair ou Tristania (dont le premier album contient le morceau "Angellore" et ce n'est pas un hasard). La passion des membres d'Angellore pour ces pionniers est évidente. Si le premier album était parfois parcouru de références trop évidentes, avec "La Litanie des Cendres" Angellore dépasse avec brio l'héritage des aînés, parvenant à composer une musique à la fois immensément respectueuse du genre et profondément personnelle.

Et donc la musique d'Angellore toucha mon esprit. Je dois dire que ce deuxième album m'a conquis tout de suite. Dès la première écoute. Dès la première note. C'est assez rare. Comme je l'ai formulé plus haut, cette musique est mienne, je la sens dans ma tête, dans mes artères, dans mon for intérieur. Je connais cette musique comme on connaît les battements de son coeur, le son du vent, l'écorce des arbres, le relief de la roche, la densité de la nuit, le puissance du chagrin ou la violence de l'amour. Je reconnais cette volonté d'élévation, cet acharnement à transcender l'ennui du quotidien, cette recherche de grandeur. Les morceaux ont beau évoquer la tristesse, la solennité l'emporte. Le morceau "Twilight's Embrace" évoque ainsi les souvenirs des paysages romantiques de la terre natale, avec les regrets et le sentiment de désolation propre au doom. Une poignante ligne mélodique au violon vient souligner la mélancolie ambiante. L'évocation est ensuite sublimée par une longue et somptueuse envolée avec des choeurs à l'extase religieuse.

Le superbe chant féminin de Lucia ouvre le morceau "Still Glowing Ashes", rejoint par le chant guttural de Walran. Nous sommes projetés dans un monde glacé, dans lequel un froid éternel semble avoir consumé toute illusion. Jusqu'à ce que le chant de Lucia s'élève au dessus de la pesante noirceur du propos, jusqu'à une courte accélération de la rythmique suivi d'un magnifique rappel de la mélodie au piano. La musique évoque alors en moi toute la volonté de l'être humain de dépasser sa mortelle condition.

Les compositions reflètent cette volonté permanente d'élévation. Tout ici est ciselé. Les orchestrations sont splendides et le soin apporté aux arrangements est évident. Le morceau qui ouvre l'album, "A Shrine Of Clouds", illustre le niveau d'exigences que se sont imposés les membres d'Angellore. Le morceau démarre au rythme soutenu d'un métal gothique avec le superbe chant guttural de Walran et un riff implacable de Rosarius. Le jeu de batterie de Ronnie est volubile et imaginatif. Le morceau évolue ensuite avec le chant androgyne de Rosarius. Je suis impressionné par la voix de Rosarius, si délicate et fine qu'elle évoque par moment un chant féminin. Les parties de claviers de Walran sont superbes et dialoguent à merveille avec la guitare. Les soli de guitares sont lancinants et mélodiques à souhait. La musique s'envole vers des cimes majestueuses. Le morceau se permet des changements d'ambiance réguliers tout en gardant sa cohérence d'ensemble et en préservant une délicatesse de tous les instants. Du très bel ouvrage.

Certains arrangements évoquent pour moi la musique des années soixante-dix. Je décèle une pincée de rock progressif ainsi qu'un cachet plus spécifique à la chanson pop/folk française de ces années-là. De ma part c'est un compliment. Cette influence est vraisemblablement inconsciente pour les membres d'Angellore. Je la ressens à l'écoute et elle évoque subtilement l'origine française du groupe. Angellore revendique par ailleurs ouvertement son origine avec le titre de l'album et au travers d'un texte interprété en français dans le morceau "Moonflower".

"Inertia" m'émerveille avec son piano délicat et sa voix féminine sobre et émouvante. Tout est superbe sur cet album qui a été enregistré au studio EverTone et produit par Florent Krist, au même endroit et par le même producteur que l'album "Errances". Le fait que les personnes se connaissaient déjà a permis de travailler le son avec une efficacité impressionnante. Le souci de perfection des musiciens et la générosité de la production font qu'à tout moment l'oreille a une mélodie à entendre, un son à apprécier. Chaque passage a son intérêt. Du coup je ne ressens aucune lassitude à l'écoute de l'album. Je peux vous assurer qu'il a déjà beaucoup tourné dans mon mange disque ces derniers mois depuis sa sortie en août dernier. Je découvre encore de nouveaux petits joyaux à chaque écoute.

Un mot sur les paroles. La nature élégiaque du propos est évidente. Les textes évoquent la mort et la souffrance due à l'abandon ou à l'absence. L'esprit en proie à la mélancolie s'absorbe dans un voyage intérieur, évoquant le visage inaccessible de l'être aimé, le souvenir des paysages de sa terre d'origine (clin d'oeil à "Mourners" d''"Empyrium"). La qualité d'écriture est indéniable. La délicatesse et l'honnêteté permettent à Angellore d'éviter avec soin tous les écueils d'un genre ultra codifié.

Le souci de bien faire est également visible dans le soin apporté au digipack. La pochette est une reproduction d'une huile sur toile créée par Florent Castellani, dont on retrouve également l'oeuvre sur les cartes présentes dans le digipack. Les paroles des chansons et des photos de statues funéraires complètent le tout avec des photos des membres du groupe. Un seul bémol prouve que la perfection n'est pas de ce monde (il s'en sera fallu de très peu avec cet album) : le digipack a été découpé pour évoquer les ruines d'un château. Certes l'idée est séduisante sur la papier mais devient inconfortable lorsque je souhaite extraire ou replacer le CD dans son support.

Le morceau "Moonflower" conclut l'album avec ses plus de dix huit minutes. J'ai peine à réaliser la longueur de ce titre tant sa majesté fait que le temps est suspendu à son écoute. Tout ici est pure volupté. La mélodie s'insinue en profondeur dans mon esprit. La frappe imposante réveille mes sens. Le morceau m'emmène vers des lieux grandioses et me fait ressentir de vives et nobles émotions.

La générosité des musiciens est une évidence à chaque instant de "La Litanie des Cendres". Les compositions sont variées, les changements de rythme réguliers et toujours cohérents. Les envolées émotionnelles sont de toute beauté. Le romantisme noir règne ici dans toute sa sombre splendeur. Les mélodies sont délicates et je les fredonne bien après la fin de l'écoute. Plus que tout, j'entends battre le coeur des membres d'Angellore. Merci à eux.

Voici le morceau "Moonflower" :


Voici le lien vers le Bandcamp d'Angellore : ici



Angellore - La Litanie des Cendres - Chronique de l'album Angellore - La Litanie des Cendres - Chronique de l'album Reviewed by Concerts expos by Pat on avril 10, 2016 Rating: 5

Aucun commentaire